31 juillet 2012

Souvenir du roi Baudouin : "Juffrouw"

Nous célébrons en ce jour le 19ème anniversaire de la disparition du roi Baudouin. L'année dernière, je vous faisais partager la carte de remerciement que la reine Fabiola avait souhaité adresser à toutes les personnes qui lui avaient témoigné des marques de soutien et d'affection. En cette occasion, comme depuis 1994, une messe sera célébrée en présence de la reine Fabiola en l'église Notre-Dame de Laeken, mais aussi à Dottignies (29 juillet) ou encore à Bressoux.

Cette année, je vous propose de revenir sur une femme qui a beaucoup compté pour le roi Baudouin puisqu'elle a été pour lui une seconde maman quatre ans durant. Passée à la postérité comme "Juffrouw", c'est-à-dire "Mademoiselle" en néerlandais, elle est née Margaretha de Jong aux Pays-Bas.

Un regard du prince vers "Juffrouw" le 3 mai 1937 lors de la Procession du Saint-Sang à Bruges

A la fin de l'année 1935, le Palais diffuse cette annonce dans le Nieuwe Rotterdamsche Courant : " Famille patricienne belge cherche gouvernante". La famille royale, peu après le décès de la reine Astrid, cherche une gouvernante pour le prince Baudouin, âgé de 5 ans, et qui pourra d'ailleurs le familiariser avec la langue néerlandaise. Diplômée en pédagogie, parlant l'anglais et l'allemand tout en voulant améliorer son français, Margaretha répond à l'annonce. Elles seront au final près de 250 candidates. Toutes seront conviées tour à tour à La Haye pour rencontrer le jonkheer Tjarda van Starkenborgh Stachouwer, ministre des Pays-Bas en Belgique. Après cette première série de rencontres, seulement huit candidates seront retenues et Margaretha en fait partie.

Le 1er janvier 1936, Margaretha est conviée au château de Laeken, et dès lors l'identité de cette famille patricienne ne comporte plus aucun secret. Elle y rencontre le roi Léopold et la reine Elisabeth, et la belle-soeur de la souveraine, la duchesse Rupprecht en Bavière, née Antonia de Luxembourg, est également présente. Au final, il s'agit de la candidate la plus convaincante. Lorsqu'elle s'installe à Laeken, c'est la princesse Joséphine-Charlotte, alors huit ans, qui l'accueille et lui fait visiter les lieux. Elle met d'ailleurs au courant la gouvernante : "Moi, c'est Jojo, Albert c'est Bébé, et Baudouin c'est Baudouin". Ce dernier n'est pas encore là, il skie alors à Gstaad.

Bien des années plus tard, Margaretha de Jong a fait part de ses souvenirs quant à la première rencontre avec le prince Baudouin :

"Le moment où je le vis pour la première fois fut inoubliable. J'étais dans la salle de bains et soudain, le roi Léopold entra, tenant par la main un petit garçon intimidé. Je vis son visage totalement fermé qui me regardait avec anxiété, et je crois que je le regardais de la même manière. Comment cela va-t-il se passer, me demandai-je. Des mois plus tard, Baudouin me dit, un jour :
- Vous rappelez-vous vos pensées lorsque vous m'avez vu pour la première fois ?
- Non, mon gentil garçon, je ne m'en souviens plus, répondis-je
Il passa ses bras autour de mon cou et murmura :
- Vous pensiez : "J'espère que nous allons beaucoup nous aimer". Et nous nous aimions n'est-ce pas ?
Alors il m'embrassa. J'étais sans voix. Baudouin avait, et a encore, un tel pouvoir de deviner vos pensées, et cela me touche toujours beaucoup."

Mai 1936, Baudouin et "Juffrouw" rentrent au Palais


Les débuts sont donc plutôt difficiles. Quand elle lui demande s'il désire apprendre le néerlandais avec elle, il lui rétorque : "Il faudra bien"... Mais après deux mois, la jeune gouvernante arrive à gagner la confiance du prince qui a perdu toute sa gaieté depuis le décès tragique de sa mère.

Comme prévu, "Juffrouw" lui apprend le néerlandais selon la méthode globale, mais également le calcul. La journée de cours débute à neuf heures. Le jeune prince semble passionné par la géographie et le dessin et aime travailler de ses mains. Peu avant midi, ils effectuent une promenade avec la reine Elisabeth dans le parc. Si le temps ne le permet pas, ils sont alors conviés dans les appartements de la grand-mère du prince. Une relation amicale va alors se nouer entre Margaretha et cette reine anticonformiste. A 12h30, Joséphine-Charlotte est de retour de sa classe au Palais Royal pour dîner. Ensuite, les enfants royaux font la sieste jusqu'aux environs de 14h. Les leçons se poursuivent en après-midi et l'heure du goûter réunit une nouvelle fois les enfants. Tout trois ne sont pas avares en caprices d'ailleurs quand il s'agit d'avaler certains aliments. Une promenade est après encore programmée dans le parc, et ce quelque soit le temps, le roi Léopold pensant que cette pratique est bonne pour endurcir les princes. Le soir, il arrive à "Juffrouw" de raconter des histoires à Baudouin.

"Juffrouw" est bien plus qu'une gouvernante. Elle prodigue toute son affection à cet enfant qui en a tant besoin. Baudouin n'a d'ailleurs jamais oublié la mère de substitution qu'elle a été pendant quelques années. Elle partageait ses jeux d'enfants, lui apprenant ainsi à rouler à vélo avec celui que sa mère avait offert, le dernier cadeau qu'il reçu d'elle. Il lui arrivait d'aborder le sujet de sa mère morte trop tôt et livrait à sa gouvernante les souvenirs qu'il gardait d'elle, telle une confidente. "Juffrouw" l'accompagne dans tous ses déplacements aussi bien lors d'activités officielles en Belgique que lorsqu'il s'agit de la période des vacances dans la villa "Roemah Laoet" du Zoute, à La Panne, dans les Ardennes, en Suisse, chez ses grands-parents en Suède ou encore en Italie auprès de Marie-José et du prince héritier Umberto, oncles du prince.


Lors d'un déplacement ; à l'extrême-gauche on peut voir le vicomte du Parc qui comptera plus tard beaucoup dans l'éducation des enfants royaux (© Archives du Palais Royal)


Lorsque la guerre éclate en mai 1940, le roi Léopold III choisit d'envoyer ses enfants sur les routes de l'exode vers la France puis de l'Espagne. Là s'arrête le rôle de Margaretha de Jong qui retourne dans sa famille aux Pays-Bas. La séparation a été particulièrement difficile à vivre aussi bien pour le prince Baudouin (âgé désormais de bientôt 10 ans) et pour sa gouvernante qui n'a fait que s'occuper de lui depuis 1936. Après la capitulation belge, les enfants effectuent le chemin inverse et retrouvent Bruxelles. Un contact épistolaire sera entretenu entre la famille royale et l'ancienne gouvernante. La reine Elisabeth lui écrit très souvent et Baudouin lui envoie des lettres dans lesquelles il raconte ses activités. Il écrit ainsi en juin 1941 :
  
"Chère Juffrouw,
J'espère que tout va bien pour vous. Je vous remercie beaucoup pour la gentille lettre que vous m'avez envoyée ; cela m'a fait grand plaisir. Comme il y a longtemps que nous sommes à Ciergnon. Nous nous amusons pourtant très bien.
A présent nous dormons sur des sacs de paille. C'est très amusant. Hier nous avons été nager dans la piscine.
Nous faisons une collection d'oeufs. Nous avons déjà 40 différents oeufs, ce que cela est gai.
Beaucoup de baisers d'Albert, Jojo et Baudouin"

Et puis les contacts vont se perdre. La famille royale va d'ailleurs la croire morte dans un bombardement de 1944. Il s'agit d'une période où les lettres échangées n'arrivaient plus de part et d'autre, y compris le message de condoléances envoyé par la famille royale à la famille de l'ancienne gouvernante... Mais le hasard fait parfois bien les choses. En 1948, désormais Madame Philippe Kooperberg, elle se rend à un concert de Jiri Straka à Scheveningen. Margaretha arrive ensuite à se glisser dans la loge du violoniste, ami de la reine et il lui raconte l'incroyable histoire. Les contacts ont donc pu par cette voie se renouer et le couple a été reçu par la reine à diverses reprises jusqu'au jour où Baudouin fit son apparition dans l'un des salons du château du Stuyvenberg. Tout deux très émus, il lui déclara : "Mon Dieu, Juffrouw, que de tristes choses se sont passées depuis que je vous ai perdue...". En effet, la guerre était passée par là, la déportation de la famille royale, l'impossibilité pour elle de regagner le pays et la fameuse Question Royale.


Avec son époux, lorsqu'elle est devenue Officier de l'Ordre de la Couronne en 1987


En 1960, Margaretha et son époux ont reçu le précieux carton d'invitation les conviant au mariage de Baudouin avec Fabiola de Mora y Aragon. Et c'est très heureuse qu'elle a assisté à la cérémonie de celui qui fut presque son propre fils de 1936 à 1940. Quinze ans plus tard, "Juffrouw" a livré ses confidences sur ses quatre années de service pour un livre écrit par Denise Fraden, "Baudouin, l'éducation d'un roi". Et en 1986, elle a eu l'extrême honneur de recevoir selon le souhait du roi Baudouin les insignes d'Officier de l'Ordre de la Couronne à l'ambassade belge de La Haye.

6 commentaires:

  1. Ne se sont-ils pas revus une dernière fois lors du voyage d'Etat aux Pays-Bas en 1993?

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    1. Exact, c'est ce qu'elle confiait après la mort du roi Baudouin en 1993 à Paris Match : "C'était le 11 et le 12 mai dernier, lors d'une visite officielle du roi aux Pays-Bas. Je me souviendrai toujours de cette dernière rencontre. Dès qu'il m'a vue, il a jeté son appareil photo dans un fauteuil, il est tombé dans mes bras et nous avons pleuré. C'était comme un enfant qui revoit sa mère. Il n'était pas question de protocole."

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  2. Merci Valentin de ce portrait tout en délicatesse dédié à cette gouvernante de qualité qui a tant compté pour le jeune prince Baudouin alors confronté au drame personnel que l'on sait.

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  3. Le temps passe, mais le souvenir de ce Roi bien-aimé reste, telle fût la ligne de conduite durant cette eucharistie à l’église Notre-Dame de Laeken. C’est dans ce lieu symbolique et rempli d’histoire que se déroula l’hommage au Roi Baudouin. Une église fleurie de blanc et dont le chœur « Vox Veroni » donna le ton de cette célébration. En présence de la Reine Fabiola fidèle à ce rendez-vous et d’un public nombreux, le Père E.H. Guido Vandeperre ( nouveau curé de Laeken) rappela souvent que durant toute sa vie le Roi Baudouin essaya d’être à la hauteur de son pays par son écoute, sa patiente, sa volonté de faire de son mieux pour son prochain.
    La célébration se termina par la Brabançonne aux Grandes orgues interprétée par Johan Moreau et par le trompettiste Wim Stas. La Reine Fabiola se retira quelques instants dans la crypte Royale et puis ce fût au tour du public de rendre un hommage au Roi.

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  4. Portrait très intéressant que vous m'avez remis en mémoire. Votre blog est à la fois sobre et élégant.

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  5. Veuillez excuser mon vocabulaire pauvre - je ne parle pas la langue française. Il s'agit d'une histoire merveilleuse de Dame chère à Baudouin. Explique également plusieurs détails du personnage de roi Baudouin - exemple il marcher chaque jour avec Fabiola ou un ministre d'État, etc. Il s'agit d'informations ne reçoivent pas à d'autres sites Web. Je vous remercie pour votre bon travail - un blog préféré. LauraC à Pittsburgh, Pennsylvanie, Etats-Unis

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