30 avril 2025

Le régiment britannique des rois Léopold Ier, Albert Ier et Léopold III

Le 2 mai 1816, le prince Léopold de Saxe-Cobourg-Saalfeld épouse la princesse Charlotte de Galles, héritière présomptive du trône britannique. Destiné à devenir un jour prince consort du Royaume-Uni, le prince Léopold est fait field marshal (maréchal) dans l’armée britannique dès le 25 mai 1816. Quelques mois plus tard, le 18 octobre 1816, il devient par ailleurs colonel du 5th (the Princess Charlotte of Wales’s) Regiment of Dragoon Guards, un régiment de cavalerie trouvant son origine au XVIIe siècle et qui fut renommé en 1804 en l’honneur de la princesse Charlotte de Galles. La fonction était vacante depuis quatre jours et le décès du général Thomas Bland. Il ne s'agissait pas du seul régiment nommé en l’honneur de son épouse. En effet, il existait aussi un 49e régiment à pied Princesse Charlotte de Galles. 



Dans une lettre (en allemand) du 21 novembre 1816 depuis Claremont destinée à son beau-frère Emmanuel de Mensdorff-Pouilly, époux de sa sœur Sophie, le prince Léopold écrit : « (…) Il y a longtemps que je ne suis plus allé en ville ; je m’y suis rendu deux fois : une fois pour faire une visite au Régent et, la seconde fois, pour prêter serment devant le conseil de la Cité, à laquelle j’appartiens. A l’occasion de ma première visite, on m’a confié un régiment de dragons de la garde qui porte le nom de ma femme et qui était vacant. En ma qualité de colonel de ce régiment, je reçois aussi une paye militaire ; car, en ce pays, chose curieuse, un feld-maréchal, n’exerçant pas un commandement, ne reçoit pas de solde du tout. Il ne faut donc pas être un officier de fortune ; autrement, on pourrait bel et bien mourir de faim. D’ailleurs, même sans cette solde, je n'ai rien à craindre ; et, tenant compte de la situation précaire de nos finances et de l’effervescence générale qu’elle suscite, je suis même fort content que cette charge ne me rapporte rien ; sinon, on m’accuserait de m’enrichir en un pareil moment. Un journal a déjà publié que, par suite de ma charge, je touchais 12 livres sterling par jour. J’ai cependant pris la liberté de faire écrire au journaliste que, étant convaincu qu’il n’aimait pas de publier dans son journal des choses inexactes, j’étais obligé de lui faire remarquer qu’il s’était trompé au sujet de ma solde. Le régiment, qui sera désigné désormais sous le nom de cuirassiers, est très bien ; il est stationné en Irlande et ses couleurs sont écarlate avec du vert clair ». 



Après avoir donné naissance à un fils mort-né la veille, la princesse Charlotte de Galles meurt le 6 novembre 1817 à l'âge de 21 ans. Inconsolable, le prince Léopold poursuit sa vie au Royaume-Uni et continue à exercer la charge de colonel du régiment qui, en 1823, est renommé 5th (Princess Charlotte of Wales’s) Dragoon Guards. Le 14 août 1830, le prince Léopold commande personnellement le régiment alors qu’il est passé en revue par le roi George IV, accompagné de la reine Caroline et d’autres membres de la famille royale britannique. Le souverain britannique avait alors demandé à ce régiment de reprendre les charges de la Household Cavalery à Windsor jusqu’au mois d’octobre. 

Elu Roi des Belges le 4 juin 1831, le prince Léopold exerce officiellement sa fonction de colonel du régiment jusqu’au 20 juillet 1831, veille de son avènement au trône. Son fils, Léopold II, fera don au Musée de l’Armée du casque du régiment de dragons britannique de son père, accompagné d’un ceinturon, d’une sabretache et d’une giberne du même régiment. 

Le 11 août 1915, en pleine Première Guerre mondiale, le roi Albert Ier est officiellement nommé colonel en chef de ce régiment par le roi George V. Quelques jours auparavant, dans une lettre rédigée le 7 août depuis La Panne, le souverain belge écrit : 

Cher Cousin, 

Je suis profondément touché par votre aimable lettre par laquelle vous m’offrez de me nommer colonel en chef du 5 Dragoon Guards (Princesse Charlotte de Galles). 

Je me sens hautement honoré et j’accepte avec un plaisir sincère de voir mon nom associé à celui d’un des plus vaillants régiments de votre splendide armée. 

C’était une attention excessivement aimable de votre part de choisir un régiment dont mon grand-père a été colonel en chef. 

Je vous remercie de tout cœur pour cette nouvelle expression de votre sympathie envers mon armée et moi-même. 

Je vous prie de me rappeler au bon souvenir de la Reine. Elisabeth vous envoie à tous deux ses meilleures salutations et je reste, Mon cher Cousin, 

Votre affectionné Cousin
Albert 

Le roi George V et le roi Albert Ier en 1916 à La Panne


Le roi Albert Ier a l’habitude de porter l’uniforme de ce régiment lors de ses entrevues avec le roi George V ou lorsqu’il visite les lignes de front britanniques. Le 27 novembre 1915, il inspecte le régiment alors basé à Frencq (Pas-de-Calais), où sont alors présents le prince Arthur de Connaught – représentant le souverain britannique – et le prince Alexandre de Teck. Du 14 au 17 mai 1917, un détachement de 5 officiers et 120 soldats du régiment sont affectés pour la garde d’honneur du roi Albert Ier qui se trouve alors à Bryas (Pas-de-Calais). 



Après la Première Guerre mondiale, le roi Albert Ier a été fait field marshal de l’armée britannique le 4 juillet 1921. L’année suivante, son régiment, incorporant le régiment The Inniskilings (6th Dragoons), devient les 5th/6th Dragoons et perd sa référence à la première épouse de son grand-père. Il demeure toutefois colonel en chef de ce « nouveau » régiment, qui devient en mai 1927 le 5th Inniskilling Dragoon Guards. Le 10 juin 1932, il rend visite à son régiment à Aldershot (Hampshire). Il s’agissait de sa première visite d’après-guerre au régiment. Le roi Albert Ier a offert à celui-ci un portait de lui-même, portant l’uniforme du régiment. 

Visite des souverains britanniques en Belgique en mai 1922
Photo : Archives du Palais Royal 


17 février 1947
Un détachement du régiment est présent à Bruxelles pour les funérailles du roi Albert Ier le 22 février 1934. Les années suivant son décès, des délégations du régiment se sont parfois présentées à la crypte royale de l’église Notre-Dame de Laeken afin de fleurir son tombeau le 17 février. Peu après son décès, en reconnaissance de l’héroïsme et du sacrifice de l’armée belge pendant la Première Guerre mondiale, son cousin le roi George V a accordé le privilège à l’armée belge de défiler en uniforme et en armes dans les rues de Londres. Aujourd’hui, la Belgique demeure encore le seul pays non membre du Commonwealth à détenir ce privilège qui se concrétise chaque année, une semaine avant la fête nationale belge, par la cérémonie d’hommage aux Belges tombés pendant les deux guerres mondiales ayant lieu au Cénotaphe de Londres. En 2024 d’ailleurs, à l’occasion des 90 ans de cette cérémonie, l’uniforme du régiment britannique du roi Albert Ier a été exposé à la résidence de l’ambassadeur de Belgique, du 2 au 20 juillet. Le 13 juillet, journée des cérémonies, le roi Philippe et la reine Mathilde sont venus, en privé, admirer l’uniforme après la partie officielle. 

L'uniforme du roi Albert Ier exposé en
2017 dans le cadre du centenaire de la
bataille de Passchendaele
Photo : Michel Jaupart


Le 30 mars 1937, le roi Léopold III est désigné comme colonel en chef du régiment, devenu deux ans plus tôt le 5th Royal Inniskilling Dragoon Guards. A la fin de l’année, il profite d’un voyage officiel à Londres pour rendre visite à son régiment stationné à Colchester (Essex), visite relatée par les actualités cinématographiques de l'époque.


Lette du vicomte Gatien du Parc du 22 avril
1947 écrite à Prégny (Suisse), où le roi
Léopold III se trouve alors en exil,
exprimant les remerciements du souverain 
pour la réception du journal du régiment 
auquel il est  « très attaché»

Le 21 mai 1938, le roi Léopold III inaugure la rosace offerte initialement au roi Albert Ier, se trouvant sur la façade sud du transept de la cathédrale Saint-Martin à Ypres. Cette rosace hexadécagonale a été financée par souscription de l’armée britannique, et en particulier par le régiment 5th Royal Inniskilling Dragoon Guards. Le cercle extérieur de cette rosace représente d’ailleurs les armoiries de la Belgique, de l’armée britannique, de la Royal Air Force et du régiment duquel le roi Albert Ier était colonel en chef. Le jour-même, un grand mémento sur panneau de bois a été inauguré à l’intérieur de l’édifice religieux rendant hommage (en anglais) « à la mémoire d’Albert Ier, Roi des Belges, Chevalier de la Jarretière, Maréchal de l’armée britannique et chef du 5th Royal Inniskilling Dragoon Guards ». 

Malgré son abdication en 1951 et la controverse entourant son attitude durant la Seconde Guerre mondiale, le roi Léopold III a conservé cette fonction au sein de l'armée britannique. Le 25 octobre 1955, un détachement de 2 officiers et de 70 hommes de ce régiment se rend d'ailleurs à Namur à l’occasion de l’inauguration par le roi Baudouin du monument au roi Albert Ier. A cette occasion, le roi Léopold III a reçu au château de Ciergnon le capitaine Findlay, commandant de ce détachement.

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En mai 1956, le roi Léopold rend d’ailleurs à nouveau visite à son régiment basé à Enniskillen (Irlande du Nord). Le 11 mai, il déclare ouvert une fête de la légion britannique à Lisnaskea, avant de rejoindre le château de Coole, où il est l’invité de lord et lady Belmore. Le lendemain, le souverain se rend à Enniskillen. Il porte alors la tenue de gala du régiment : tunique bleu roi sur pantalon vert bouteille, à bande argentée, képi à fond vert et épaulettes en mailles d’acier, sans oublier l’écharpe de l’Ordre de la Jarretière et le sabre. Le roi Léopold passe d’abord les troupes en revue avant de prendre place en tribune et d’accepter la citoyenneté d’honneur de la ville offerte au régiment. La cérémonie s’est terminée par un défilé du régiment précédé de son étendard et de sa musique. Ensuite, un déjeuner l’attendait à l’hôtel de ville où il a dévoilé une plaque en mémoire du capitaine Lawrence Oates, ancien du régiment, décédé lors d’une expédition en Antarctique en 1912. Le roi Léopold poursuit ensuite son séjour à Londres, où il rencontre la reine Elizabeth II, ainsi que le premier ministre Anthony Eden.

Le 14 juin 1964, le roi Léopold se rend à nouveau à Enniskillen, cette fois-ci accompagné de son épouse la princesse Lilian. Ils assistent notamment à une cérémonie au sein de la cathédrale Saint-Macartin. Lors de celle-ci, le roi Léopold, cette fois-ci habillé en civil, est invité à remettre l’ancien étendard, présenté au régiment en 1938 lors du dernier défilé à cheval avant de devenir un régiment mécanisé, afin qu’il demeure au sein de l’édifice religieux. La journée a aussi été marquée par un déjeuner offert à l’hôtel de ville. Le couple logeait à Ely Lodge, propriété du 5e duc de Westminster. Ils ont poursuivi leur séjour en Irlande du Nord, à Portrush et Belfast, s’adonnant à la pratique du golf, avant de se rendre en Angleterre. Ils ont également effectué une visite de courtoisie au château de Windsor. 

1964

Depuis la Belgique, le roi Léopold III entretient des contacts avec son régiment. A plusieurs reprises, il reçoit dans ce cadre au domaine d’Argenteuil. En juillet 1963, il invite même les membres de l’équipe de golf du régiment et leurs épouses pendant trois jours au château de Ciergnon. Une partie de golf est d’ailleurs organisée au Golf Club du Château d'Ardenne, propriété de la Donation Royale, avec des membres de l’équipe de golf du 1er régiment de guides. Le 29 mai 1973, un détachement du régiment est venu à Courtrai rendre les honneurs à l’occasion des cérémonies des combats de mai 1940. 

Photo de groupe prise par le roi Léopold en 1963
à Ciergnon, sur laquelle son épouse la princesse
Lilian et ses filles Marie-Christine et Esméralda
sont identifiables


Il est également à noter que, dans son ouvrage sur le domaine d’Argenteuil, Michel Verwilghen relate ceci, sur fond de rupture déjà bien consommée entre Laeken et Argenteuil : « Les contacts avec le prince de Liège demeurèrent plus rares, mais entre père et fils cadet, il y eut aussi, à la fin des années septante et au début des années quatre-vingt, des échanges de lettres cordiales. (…) Un seul autre exemple suffira, ici aussi, par identité de motif. Il est d’autant plus démonstratif qu’il date de quelques mois avant le décès du roi Léopold. C’est une lettre manuscrite par laquelle le prince Albert annonce à son père que Philippe (filleul du roi Léopold) a terminé sa formation militaire et qu’il séjournera en Angleterre pour suivre des cours à Oxford. Le programme de ce séjour a été bien préparé, avec la collaboration de la Cour d’Angleterre. Il est notamment envisagé que le prince Philippe assiste à un banquet au 5e Inniskilling Dragoon Guards, dont Léopold III est Colonel-in-Chief. C’est la raison pour laquelle Albert écrit à son père : il tient à l’en avertir lui-même car il ne désire pas que le parrain de Philippe apprenne cette nouvelle par la presse. Ce geste plein de tact dut plaire au château d’Argenteuil. Certes, il eût été plus normal que Philippe aille chez son grand-père, pour apprendre par lui comment un roi des Belges était devenu colonel en chef d’un régiment britannique. Mais voilà, des raisons politiques excluaient les rencontres spontanées entre la branche familiale appelée à régner et celle qui avait régné… » (p. 345). 

Le 1er octobre 1983, un détachement du régiment est envoyé à Bruxelles afin de former une haie d’honneur sur les marches de l’église Saint-Jacques-sur-Coudenberg à l’occasion des funérailles du roi Léopold III. 

La princesse Anne posant en 2014 à la résidence de l'ambassadeur
belge au Royaume-Uni avec en arrière-plan un tableau représentant
le roi Albert portant son uniforme britannique
Photo : Ambassade de Belgique au Royaume-Uni

Avec ce décès a cessé la relation entre ce régiment de l’armée britannique et la famille royale belge. La charge honorifique de colonel en chef ne fut pas reprise par un de ses membres, bien que le roi Baudouin eût été nommé le 14 mai 1963 au rang honoraire de Air Chief Marshal au sein de la Royal Air Force par la reine Elizabeth II. C’est un membre de la famille royale britannique qui a repris en 1985 la charge honorifique de colonel en chef du 5th Royal Inniskilling Dragoon Guards : Charles, prince de Galles. En 1992, le régiment a fusionné avec les 4th/7th Royal Dragoon Guards, donnant ainsi naissance à un nouveau régiment : The Royal Dragoon Guards. En 2023, le roi Charles III a cédé la fonction de colonel en chef de ce régiment à son frère le prince Edward, duc d’Edimbourg.


Sources

- CLEEREMANS Jean, « Léopold III, homme libre. Chronique des années 1951 à 1983 », Braine l’Alleud, 2001 
- POMEROY Ralph Legge (major), « The Story of a Regiment of Horse. Being the Regimental History from 1685 to 1922 of the 5th Princess Charlotte of Wales’ Dragroon Guards », Londres-Edimbourg, volumes I et II, 1924 
- PURAYE Jean et LANG Hans-Otto, « Lettres de Léopold Ier », Liège, 1973 
- THIELEMANS Marie-Rose et VANDEWOUDE Emile, « Le Roi Albert au travers de ses lettres inédites 1882-1916 », Bruxelles, 1982 
- VAN DUYSSE Hermann, « Catalogue des armes et armures du Musée de la Porte de Hal », Bruxelles, 1897 
- VERWILGHEN Michel, « Le mythe d’Argenteuil. Demeure d’un couple royal », Bruxelles, 2006 
- Ambassade de Belgique au Royaume-Uni 
- Musée Royal de l’Armée et de l’Histoire Militaire 
- Bulletins d'information du 5th Royal Inniskilling Dragoon Guards (accessibles via le site RCM Collection)
- « Teksten van Parochiekerk Sint-Maarten en bijhorend klooster » (site de l’Inventaire du patrimoine flamand)

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