21 mars 2023

La princesse Jean-Charles de Ligne-La Trémoïlle (1922-2023)

Marie du Rosaire Rose (dite « Rosario ») de Lambertye-Gerbéviller est le 14 octobre 1922 dans le VIIIe arrondissement de Paris, plus précisément dans l’hôtel particulier de ses parents situé au numéro 51 de l’Avenue Montaigne. Ses parents sont le marquis Charles de Lambertye-Gerbéviller (1883-1940), appartenant à la plus ancienne noblesse lorraine, et Lina (Lorraine) Sancho-Mata y Contreras (1896-1991), de nationalité espagnole. 

Acte de naissance de Marie du Rosaire Rose de Lambertye-Gerbéviller


Son père a fait carrière dans la marine et eut l’occasion de beaucoup voyager à travers le monde. Il a combattu durant la Première Guerre mondiale. Affecté à une brigade de fusiliers marins engagée dans la défense de Dixmude, il fut blessé grièvement en octobre 1914 par un coup de baïonnette, ce qui lui valut d’être nommé chevalier de la Légion d’honneur (il sera promu officier en 1935) et titulaire de la Croix de guerre 1914-1918 avec palmes. En décembre 1917, le Quai d’Orsay l’envoya en mission spéciale auprès de l’ambassade de France à Madrid avec le prince de Beauvau-Craon. L’Espagne n’était pas un pays étranger pour lui : il y était né et sa mère était une Espagnole issue d’une famille fortunée, Maria Virtudes Martinez de Irujo y del Acázar (1852-1940), fille du 2ème Marquis de Casa Irujo (1802-1855) et de la 7ème Duchesse de Sotomayor (1826-1889). C’est d’ailleurs en Espagne qu’il rencontra, durant sa mission diplomatique, celle qui deviendra son épouse à l’issue des hostilités. En effet, le 19 mai 1919 dans la capitale espagnole, il s’unit avec Lina Sancho-Mata y Contreras, issue d’une famille de la grande bourgeoisie d’affaires de Madrid. Le couple eut trois filles : Gabrielle née à Biarritz, puis Rosario et Léontine, nées toutes deux à Paris respectivement en 1922 et en 1925. 

Ses parents


A sa naissance, son père poursuivait alors sa carrière en Espagne où il était attaché naval adjoint à l’ambassade de France à Madrid. En plus de Paris, la famille vivait naturellement aussi rue d'Alcalá, une importante artère madrilène. En 1908, à seulement 25 ans, son père avait hérité du château de Gerbéviller, un domaine de 800 hectares situé en Meurthe-et-Moselle. A partir de 1921 et poussé par son épouse, le marquis Charles va s’atteler à la reconstruction, dans des proportions plus modestes, avec l’appui de l’architecte Albert Laprade, de cet édifice incendié le 24 août 1914 par les troupes allemandes. En mars 1925, la famille, qui logeait lors de ses séjours à Gerbéviller dans le bâtiment des communs reconstruit en 1919, put enfin emménager dans le château reconstruit. 

Le château avant 1914


Photo : Château de Gerbéviller


En 1939, ayant alors le grade de capitaine de frégate, son père a été nommé commandant du front de mer de Calais. Durant ses fonctions, il eut l’occasion de recevoir le Duc de Windsor, alors major-général rattaché au Corps expéditionnaire britannique envoyé en France. Le 26 mai 1940, le marquis Charles est décédé pour la France. Sa veuve est partie se réfugier en Espagne. Après avoir été brièvement occupé par les Allemands, le château de Gerbéviller fut occupé quelques semaines par le général Leclercq et son état-major. A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la marquise Charles est venue se réinstaller à Gerbéviller ; elle prit en main la gestion du patrimoine familial et devint exploitante agricole. Alors que son époux fut membre du conseil municipal, celle que les habitants et ses filles appelaient « La Marquise » a occupé le poste de maire de Gerbéviller de 1954 à 1965. 




Le 11 mars 1942, Rosario de Lambertye s'est mariée dans le XVIe arrondissement de Paris avec un Belge, le prince Jean-Charles de Ligne, né le 16 juin 1911 à Bruxelles, fils unique du prince Henri de Ligne (1881-1967) et de la princesse Charlotte de La Trémoïlle (1892-1971). Suite au décès accidentel et prématuré en 1933 de son oncle maternel le prince Louis de La Trémoïlle, il fut autorisé à adjoindre « La Trémoïlle » à son patronyme le 20 décembre 1934 par décision du roi Léopold III ; créant ainsi une branche cadette au sein de la Maison de Ligne. Ce prince, alors sous-lieutenant de cavalerie, avait pris part à la Campagne des Dix-Huit Jours en mai 1940. Fait prisonnier lors de la reddition de l’armée belge, il réussit à s’évader et à passer en Angleterre où il a rejoint l’armée canadienne. Il a participé au débarquement en Normandie en 1944, puis aux campagnes visant à libérer la Belgique et les Pays-Bas, puis servit encore en Allemagne. Il fut décoré par le Royaume-Uni de la Médaille de la Défense 39-45 et de la France-Germany Star

Bal en 1950
De g. à d. : la princesse Jean-Charles de Ligne La
Trémoïlle, Mme Bertrand de La Haye-Jousselin et
la princesse Armand d'Arenberg
Photo : Robert Doisneau

De cette union sont nés trois enfants : la princesse Hedwige, née le 18 février 1943 à Madrid, le prince Charles-Antoine, né le 30 septembre 1946 à Paris, et la princesse Nathalie, née le 22 septembre 1948 à Paris. Le prince et la princesse Jean-Charles, domiciliés sur l’Avenue Foch, formaient un couple en vue dans la capitale française, invités des dîners et bals. En 1967, le prince Jean-Charles a hérité du château d’Antoing, situé dans le Hainaut, en Belgique ; une demeure appartenant depuis 1634 à la Maison de Ligne. Par le biais de l’héritage des La Trémoïlle, le couple jouissait également du château de Serrant, situé à Saint-Georges-sur-Loire, non loin d’Angers. Le couple s'est consacré à la restauration de ce château, demeure essentiellement de style Renaissance, remontant au XVIe siècle. En 1954, le château fut ouvert au public. C’est essentiellement à la belle saison que le couple y posait ses valises, accueillant parfois des hôtes illustres. Ainsi, du 12 au 15 mai 1981, la reine-mère Elizabeth logea au château de Serrant, lors d’un de ses fréquents voyages privés en France. La princesse Jean-Charles lui céda alors sa chambre. 

Château d'Antoing
© JohnCham / Wikimedia Commons

Photo : Château de Serrant

Visite de la reine-mère Elizabeth à Serrant en 1981


A l’instar de sa mère qui publia en 1975 ses Mémoires, la princesse Jean-Charles publia en 1997 sous le nom de « Rosario de Lambertye » un livre intitulé Entre deux… aux éditions Kailash ; un ouvrage malheureusement impossible à dénicher aujourd’hui. Elle est d'ailleurs restée attachée aux terres de Gerbéviller où sa mère est décédée en 1991. Le château est alors passé à sa sœur Gabrielle, épouse du prince Armand d’Arenberg. La princesse Jean-Charles et ses deux sœurs, épaulées par leurs descendants, ont d’ailleurs continué de gérer le groupement forestier familial ayant son siège au château de Gerbéviller, constitué avec leur mère en 1967, source de revenus non-négligeables. 

Le prince et la princesse Jean-Charles posant
au château de Serrant en 1990


En 1966, sa fille Hedwige a épousé au château d’Antoing le prince Charles-Guillaume de Merode (1940). Le couple a eu deux fils. L’aîné, Frédéric (1969), travaillant dans la finance, s’est marié à Hannah Robinson (1971), de nationalité britannique. Ils sont les parents de Félix (2000) et Isabelle (2002). Le cadet, Emmanuel (1970), est célèbre pour ses activités d’anthropologue et de primatologue, conservateur du parc national des Virunga en République démocratique du Congo. Marié à la paléontologue kenyane d’origine britannique Louise Leakey (1972), il est le père de Seiyia (2004) et d'Alexia (2006). 

Mariage de la princesse Hedwige


En 1971, son fils le prince Charles-Antoine s’est marié avec lady Moira Forbes (1951), fille du 9ème Comte de Granard (1915-1992) ; union qui s’est terminée par un divorce en 1975. En 1976, il s’est remarié avec la princesse Alyette de Croÿ-Roeulx (1951), fille du prince Rodolphe de Croÿ (1924-2013) et d’Odile de Bailleul (1926-2019), fille de marquis. Le couple a donné naissance à deux fils : Edouard (1976), hommes d’affaires, et Charles-Joseph (1980), photographe et peintre à Paris. Les deux petits-fils de la princesse Jean-Charles se sont tous deux mariés à Antoing. L’aîné a épousé en 2009 Isabella Orsini (1974), une actrice italienne. Trois enfants sont nés de cette union : Althéa (2010), Athénais (2014) et Antoine (2019). Le prince Charles-Joseph s’est marié en 2010 avec une Chinoise, Ran Li (1984), fille d'un maire de la province de Guangdong. Le couple a donné naissance à un fils, Amedeo (2012). Après un nouveau divorce en 2002, le prince Charles-Antoine s’est remarié en 2011 avec Angelina Askeri (1983), de nationalité russe. De cette troisième union est née une fille prénommée Arielle (2012). 

Mariage du prince Charles-Antoine avec lady Moira Forbes

Le prince Charles-Antoine et sa seconde épouse, la princesse
Alyette de Croÿ-Roeulx


En 1973, sa fille Nathalie s'est mariée au château de Serrant avec le prince Alain de Polignac (1940), fils du prince Edmond de Polignac (1914-2010) et de Ghislain Brinquant (1918-2011). Le couple a eu deux enfants. Le prince Ludovic de Polignac (1974), célibataire, est directeur général et associé fondateur d’une société d'affaires. La princesse Diane de Polignac (1976) est quant à elle galeriste d'art à Paris. Veuve de Khalil Boisson de Chazournes (1972-2016), avec qui elle a eu une fille prénommée Ariane, elle est aujourd’hui remariée au baron Stanislas de Nervo. Le 22 septembre 1992 à Paris, le jour de ses 44 ans, la princesse Nathalie s’est malheureusement donnée la mort après des complications médicales. 




Le 9 juillet 2005, le prince Jean-Charles est décédé au château de Serrant. Ce dernier passa alors à sa fille Hedwige, tandis que le château d’Antoing passa au prince Charles-Antoine en tant que chef de la branche cadette de la Maison de Ligne. 

Le prince Jean-Charles et sa fille, Hedwige,
au château de Serrant en 1990


Les années passant, la princesse Jean-Charles a essentiellement partagé sa vie entre Paris et Antoing. Surnommée affectueusement « Yayo », elle était surtout entourée par son petit-fils le prince Edouard et sa famille qui partageaient également leur vie entre la France et la Belgique, en plus de l’Italie. Ces dernières années, l’épouse du prince Edouard, Isabella, a d’ailleurs contribué à faire connaître la « princesse Yayo » au travers de ses publications sur les réseaux sociaux. En 2019, la princesse Jean-Charles s’est rendue à Beloeil, au bras de son fils, aux funérailles de la princesse Antoine de Ligne, née princesse Alix de Luxembourg. Sa santé s’est par la suite détériorée. Elle passa la période du confinement lié au coronavirus à Antoing. En octobre 2022, son centenaire a été célébré au château d’Antoing en présence d’édiles locaux et de la presse régionale. 

Au mariage de son petit-fils le prince Edouard en 2009

Avec son arrière-petite-fille la princesse Althéa

Cérémonie au château d'Antoing pour son centenaire
La Princesse entourée (de g. à d.) par la prince Edouard,
le prince Charles-Antoine, le prince Amadeo et le prince
et la princesse Charles-Joseph
Photo : Editions Vers L'Avenir


Souffrante depuis plusieurs semaines, Son Altesse la princesse Jean-Charles de Ligne La Trémoïlle et du Saint-Empire s’est éteinte au château d’Antoing le 17 mars 2023. Ses funérailles ont été célébrées le 24 mars 2023 en l’église Saint-Pierre d’Antoing, un édifice financé en 1878 par le prince Eugène de Ligne. 


Le 1er août 2022, c’était sa sœur aînée, Gabrielle, qui est décédée à l’âge de 101 ans en son domicile parisien. Durant la Seconde Guerre mondiale, elle se révéla comme jeune infirmière volontaire autodidacte. En 1941 à Paris, elle avait épousé le prince Armand d’Arenberg (1906-1985), membre de la branche française de cette prestigieuse famille, fils du prince et duc Charles-Louis d’Arenberg (1871-1919) et de Emma de Gramont de Lesparre (1883-1958). Le couple, qui vivait rue Oudinot à Paris, a eu deux enfants : Marie-Virtudes dite « Mirabelle » (1947) et Charles (1949). Elle a repris à sa mère la charge du château de Gerbéviller et de son parc. En 2001, FR3 l’a d’ailleurs filmée pour un reportage dans les jardins du château. Chevalier du Mérite agricole, elle fut aussi promue au rang de chevalier de la Légion d’honneur en 1999 en tant que présidente d’un comité du Souvenir français et pour 58 années d’activités associatives et de services militaires. Plusieurs années avant son décès, son fils Charles avait repris les rênes du domaine de Gerbéviller. Elle a été inhumée dans le caveau de la chapelle familiale de Gerbéviller.

Photo : Château de Gerbéviller


Quant à la princesse Léontine, celle-ci a épousé en 1949 à Gerbéviller le prince Albert-Edouard de Ligne (1912-1963), fils du prince Albert de Ligne (1874-1957) et Marie-Louise Calley Saint-Paul de Sincay (1885-1968), et filleul du roi Albert Ier. Son époux avait participé à la Campagne des Dix-Huit Jours en 1940. Ayant échappé aux Allemands, il se mit au service de la Croix-Rouge pour laquelle il a remplis des fonctions en Belgique et en France. Menacé d’emprisonnement pour être le chef d’un mouvement patriotique, il prit la fuite vers l’Espagne d’où il a rejoint le Royaume-Uni et la « Royal Air Force ». Formé pendant deux ans au Canada, les hostilités prirent fin lorsqu’il revint pour combattre. Pour souligner ses mérites, il reçut diverses distinctions honorifiques, dont les insignes d’Officier de l’Ordre de Léopold lors d’une cérémonie présidée au palais de Bruxelles par le prince-régent Charles. Le couple, vivant à Bruxelles, a eu une fille, la princesse Wanda de Ligne (1950). En 1963, son époux fut victime d’un accident de la route, à Natoye, dans la province de Namur. Le prince Albert de Belgique assista à ses funérailles. Désormais veuve, vers la fin des années 1960, la princesse Albert-Edouard quitta l’Avenue Louise pour s’installer avec sa fille Wanda à Madrid, où elle retrouva sa mère qui y vivait une partie de l’année. Elle y prit en charge l’exploitation agricole familiale. Elle revint fréquemment à Gerbéviller, où elle disposait d’un pied-à-terre, cadeau de sa mère à l’occasion de son mariage. Elle est décédée le 6 janvier 2016 à Madrid. 

Mariage en 1979 au château de Beloeil de la princesse
Wanda de Ligne
A gauche, la princesse Albert-Edouard de Ligne



Sources (non exhaustives)

- d’ARENBERG Charles (Prince) (2019), « La reconstruction du château de Gerbéviller après la Première Guerre mondiale », Le Pays Lorrain, vol. 100, n° 1, pp. 47-58 
- de LIGNE Albert (Prince) (1950), Histoire généalogique de la Maison de Ligne, Bruxelles, éditions La Caravelle, p. 144 et pp. 148-149 
- LONDCHAMPS Alix (1981), Le Marquisat de Gerbéviller, éditions Pierron 
- MEYLAN Vincent (2022), « Au château d’Antoing. Le siècle de « LA » princesse », Point de Vue, n° 3864, pp. 32-33

- L’Est Républicain (2016), « Gerbéviller : décès de la princesse Marie Léontine de Ligne », [article en ligne]
- L’Est Républicain (2022), « Disparition de la princesse Gabrielle d’Arenberg », [article en ligne
- INA / FR3 Nancy (2001), « Jardins du château de Gerbéviller », [vidéo en ligne]
- Notélé (2022), « Zone franche avec le Prince Charles-Antoine de Ligne de la Tremoïlle », [vidéo en ligne]
- Noblesse & Royautés (2013), « Mariées du Gotha : Wanda de Ligne », [article en ligne]
- Journal d’un Petit Belge (2022), « Les 100 ans de la princesse Maria de Ligne La Trémoïlle », [article en ligne]
- « LAMBERTYE (de) Charles, Edmond, Marie, Gabriel, Ernest, Toussaint », Mémorial des officiers de marine, [site web]
- Archives de Paris, Actes de naissance du VIIIe arrondissement, acte n° 2226 (cote 8N 190)

3 commentaires:

  1. Merci pour cette belle biograpgie .

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  2. Merci pour cette biographie intéressante. Je regrette toutefois que vous n'utilisiez que le nom de l'homme pour parler de sa femme. C'est une pratique stupide et très négative. Il se peut que cette femme ait été beaucoup plus avancée que son mari sur le plan intellectuel et fonctionnel. Elle avait sa propre personnalité et sa propre volonté, bien sûr. Alors pourquoi utiliser une manière d'écrire aussi ancienne et socialement très négative ?

    Nous devons revenir à notre époque et, comme le dit le roi Carl XVI Gustav de Suède dans son emblème : Pour la Suède dans le temps!

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