Il y a 18
ans, se déroulait l’avènement du roi Albert II, le 9 août 1993. Le
roi Baudouin était décédé le 31 juillet et comme le prévoyait la Constitution,
la prestation de serment devait se tenir dans un laps de temps maximum de 10
jours.
A 14h45, la
famille royale arrive au Palais de la Nation : la reine Fabiola, le prince
Philippe, la princesse Astrid, l’archiduc Lorenz (à l’époque il n’est pas
encore titré prince de Belgique) et leurs enfants, le prince Amedeo et la
princesse Maria-Laura, ainsi que le prince Laurent. Elle est accueillie devant
le péristyle fleuri par les présidents des deux Chambres. La famille royale se
rend ensuite dans le Salon des Tapisseries du Sénat où ils y attendront l’arrivée
de Paola.
Quelques minutes plus tard, les futurs souverains arrivent au Parlement avec une Lincoln noire décapotable où ils sont également accueillis devant le péristyle. Le prince Albert a ceint le grand uniforme de lieutenant-général de l’armée de terre agrémenté du grand cordon de l’Ordre de Léopold. La future reine porte un manteau crème d’Olivier Strelli, elle rejoint le reste de la famille royale dans le salon du Sénat.
A 15h01, celui qui est encore le prince Albert de Belgique, prince de Liége, fait son entrée, ovationné par l’assistance composée de plus de 700
invités. Les membres de gouvernement, les députés et parlementaires sont
présents, certains sont revenus de vacances expressément pour l’événement. Plusieurs
ambassadeurs accrédités à Bruxelles ont été invités, ainsi que neuf
représentants de la C.E.E., Jacques Delors, président de la Commission
Européenne, un représentant du secrétaire général de l’O.T.A.N., le primat de Belgique,
le cardinal Daneels et les évêques de Belgique, sans oublier les représentants
de la Cour de Cassation, du Conseil d’Etat et de la Cour d’Arbitrage. Certains
invités n’ont d’ailleurs pas trouvés de place assiste et sont installées dans
les travées.
La famille
royale s’installe à gauche du trône drapé d’amarante rouge Cobourg qui est utilisé uniquement
lors des prestations de serment. Une fois que les acclamations s'estompent, le sulfureux député Jean-Pierre Van Rossem, installé dans le
promenoir, lance « Vice la
République européenne, vive Julien Lahaut ! ». Le président de la
Chambre condamne les propos du député qui est aussitôt prié de quitter l’hémicycle.
La reine Fabiola parut très émue et l’assemblée ovationna de nouveau le roi
suite à l’incident.
Julien Lahaut était un homme politique communiste. Lors de la prestation de serment de Baudouin en tant que prince royal en 1950, le parlementaire communiste Georges Glineur entonna un « Vive la République », repris par d’autres dont Lahaut. Quelques jours plus tard, il fut assassiné chez lui par deux individus, non encore identifier à ce jour. Des rumeurs font état qu’il puisse s’agir de léopoldistes.
Une fois l’incident clos, le président du Sénat, Franck
Swaelen et le président de la Chambre des Représentants, Charles-Ferdinand Nothomb
accueillent solennellement le prince de Liége et l’invitent à prêter le serment
constitutionnel. Le roi prononce alors le traditionnel « Je jure d’observer la Constitution
et les lois du peuple belge, de maintenir l’indépendance nationale et l’intégrité
du territoire ». Il est 15h07 et la Belgique a un nouveau roi,
le drapeau tricolore est remonté sur le Palais royal. Le souverain paraissait
ému et ne cessait de trembler ce qui fit courir la rumeur qu’il était atteint
de la maladie de Parkinson, alors qu’il ne s’agissait que de stress.
Le désormais sixième roi des Belges s’adonne alors à un discours :
« Je
viens de prêter devant vous le serment constitutionnel. De tout cœur, la Reine
et moi nous nous mettons au service du pays. L’exemple de mon frère et de la
reine Fabiola sera pour la reine Paola et moi une précieuse source d’inspiration,
et les valeurs qu’ils ont si bien incarnées nous guideront dans l’exercice de
notre tâche. Je voudrais vous remercier ainsi que tout le pays pour la chaleur
exceptionnelle de l’hommage qui a été rendu ces derniers jours à mon frère le
roi Baudouin. Cela a très profondément ému tout notre famille.
Vous avez à
juste titre associé étroitement à cet extraordinaire hommage la reine Fabiola,
car l’action du Roi était aussi l’action d’un couple où les conjoints s’aidaient
mutuellement aussi bien dans les moments heureux que dans les épreuves de la
vie. Que la reine Fabiola soit remerciée pour tout ce qu’elle a fait et
continuera, j’en suis sûr, à faire pour le pays.
Mais vous
le savez, mon frère n’était pas homme à se réfugier dans la tristesse même aux
moments les plus difficiles. Il aimait tirer des enseignements du passé pour
envisager l’avenir. Je voudrais faire de même avec vous.
Sur le plan
politique, il me semble que nous ne pouvons pas prendre de meilleure
inspiration que le dernier discours du roi Baudouin qui est devenu son
testament politique.
Au
lendemain des votes achevant de faire de la Belgique un Etat fédéral, je vous
demande de traduire dans les faits les nouvelles institutions, de les faire
fonctionner au mieux dans un esprit de concorde, de bonne volonté, de tolérance
et de civisme fédéral.
En ce
moment où les égoïsmes collectifs prennent un peu partout dans le monde des
formes inquiétantes, montrons qu’il est possible de faire vivre harmonieusement
dans un même pays les femmes et les hommes de cultures différentes qui l’habitent.
Ce sera le plus bel hommage que nous puissions rendre au roi Baudouin.
Faisons
vivre ce civisme fédéral auquel il nous appelait et ne sous-estimons pas la
valeur d’exemple qu’il peut avoir pour l’Europe.
Mais il est
d’autres défis que nous devons relever ensemble, à commencer par celui de l’emploi.
Pour faire face à ce problème, il me paraît qu’une attention particulière doit être
accordée à la promotion de nos exportations. Le moment me paraît aussi venu de
préparer nouveau consensus économique et
social. Nous y sommes parvenus au lendemain de la guerre et avons joué un
rôle de pionnier.
Faisons de
même aujourd’hui. Ayons de l’ambition pour notre pays.
Je voudrais
conclure en évoquant le grand danger qui guette les femmes et les hommes de
notre temps sur le plan moral. Il a été décrit avec une extraordinaire
lucidité, il y a plus de 150 ans par Alexis de Tocqueville et je le cite :
"Je veux imaginer sous quels traits
nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde. Je vois une foule
innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes
pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils remplissent leur
âme. Chacun d’entre eux, retirés à l’écart, est comme étranger à la destinée de
tous les autres ; ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui
toute l’espèce humaine. Quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux,
mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point. Il n’existe
qu’en lui-même et pour lui seul ; et, s’il lui reste encore une famille,
on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie"
Pour faire
face à menace de l’égoïsme individuel et collectif, il n’y a qu’une solution :
la solidarité. Sachons la mettre en œuvre à tous les niveaux : au sein de
notre pays d’abord, en protégeant les plus fragiles ; au sein de la
Communauté européenne en poursuivant la construction d’une Europe fédérale,
dynamique et sociale ; au sein de notre continent en aidant l’Europe
centrale et orientale à se relever ; et enfin vis-à-vis du tiers monde où
tant de femmes, d’hommes et d’enfants vivent dans des conditions inhumaines.
Mesdames et
Messieurs, unissons nos forces pour faire de notre pays un modèle de justice et
de paix et un exemple d’Etat fédéral moderne.
Es Lebe
Belgiën ! Vive la Belgique ! Leve België ! »
A 15h30, la
cérémonie est terminée. Avant de regagner leur voiture, les souverains signent
le livre d’or de la Chambre et du Sénat, placé sur une table de marbre. La
famille royale peut alors gagner la Colonne du Congrès, accompagnée de l’Escorte
royale, pour une cérémonie solennelle au cours de laquelle le roi prend le
commandement des forcées armées.
La famille
royale prend place sur l’estrade revêtue de rouge. Le roi, flanqué du ministre
de la Défense et du chef de l’Etat-Major, dépose une couronne de fleurs auprès
de la tombe du Soldat Inconnu. Après avoir tenu une minute de silence, Albert
II ranime la flamme en même temps que l’on joue le « Last Post ». Il
signe ensuite le livre d’or et se fait présenter les chefs d’Etat-Major de la
Force terrestre, de la Force aérienne, de la Force navale et du Service
médical. Ensuite, sur l’esplanade de la Cité administrative, il prend part à
une revue des détachements qui défileront peu après : Force navale, École
royal militaire, École des sous-officiers, 12ème bataillon de Ligne,
Force aérienne et Service médical.
Le souverain salue alors les huit étendards, coïncidant avec sa prise de commandement des forces armées, alors que le Brabançonne est jouée. Le drapeau du 12ème Régiment de Ligne a été remis par Léopold Ier en 1832, il est le plus grand et le plus ancien. Celui de l’Ecole royale militaire fut remis par Albert Ier en 1927, celui de l’Ecole technique de la Force aérienne par le roi Baudouin en 1954 au service de Guet, celui du 2ème Wing tactique par Albert Ier en 1919 à l’aviation militaire, celui de la Force navale par le Régent Charles en 1946, les deux étendards des écoles pour sous-officiers ont, eux, été attribués en 1926 initialement aux écoles des pupilles de l’armée. Quant au plus récent, l’étendard du Service médical, il a été remis par le roi Baudouin en 1962.
Le couple
royal est allé ensuite à la rencontre des anciens combattants avant de faire
place au défilé et puis à ce qu’on appelle la « Joyeuse Entrée »,
inaugurant les nouveaux souverains dans la capitale (d’autres suivront ensuite
dans les grandes villes du royaume). Le cortège remonte la rue Royale, toujours
accompagné de l’Escorte à cheval, et s’arrête à l’angle de la rue tandis que les
cloches de l’église Saint-Jacques-sur-Coudenberg sonnent. La famille royale,
avec à sa tête les souverains et la reine Fabiola, prend un bain de foule
pendant vingt minutes.
Arrivés au
palais royal, trois détachements de l’Ecole royale militaire sont disposés dans
la cour d’honneur où le Grand maréchal de la Cour accueille le roi et la reine.
D’autres membres de l’Escorte royale forment, eux, une haie d’honneur. A 17h05,
la famille royale apparait au balcon du Palais royal, acclamée par la foule.
Après cet
autre moment fort de la journée, les souverains font une dernière halte au
carrefour formé par le boulevard du jardin Botanique et par la rue Royale. Là, à
17h45, ils saluent les bourgmestres de Bruxelles, de Saint-Josse-ten-Noode et de
Schaerbeek. Il est en effet de tradition que le souverain, en tant que citoyen
de Bruxelles, salue son bourgmestre et comme le cortège empruntait également
des artères des villes de Saint-Josse-ten-Noode et de Schaerbeek, les bourgmestres
de ces dernières communes furent conviés. Quelques minutes après cet intermède, le
couple royal regagne Laeken, clôturant ainsi cette journée historique pour la Belgique.
je me souviens de ce jour et du coup de tonnerre que fut la mort du roi Baudouin. Depuis Albert s'est révélé être un très grand roi.
RépondreSupprimerMoi aussi, j'étais adolescent et je me souviens bien de cette journée du 9 août 1993. J'ai mis le lien sur mon blog vers ton article.
RépondreSupprimerJ'avais à peine un an, difficile donc pour moi de m'en souvenir... Enfin, paraît-il que ces jours là j'étais très intéressé par ce qu'il se passait à la télévision.
RépondreSupprimerMerci pour le lien Petit Belge !
Ce que je retiens,c'est la ferveur de la foule
RépondreSupprimeret l'extraordinaire courage de la reine Fabiola,
portée par sa Foi.
Bernadette
La Monarchie présente cet avantage indéniable qu'elle garantit la continuité de l'État, un État qui connait un grand nombre de mutations, voir de transformations en tout genre, et en Belgique particulièrement des changements institutionnels importants, car à l'avènement d'Albert II, la Belgique ne ressemblait guère à celle de l'avènement de son frère Baudouin.
RépondreSupprimerCet accession d'Albert II, montre aussi l'intérêt de respecter l'ordre de succession; en effet, beaucoup voyait à tort le prince Philippe succéder à son oncle au mépris des droits de son père, hors qui aurait pu régner ces dix-huit dernières année en Belgique si ce n'est l'expérimenté, l'affable, le diplomate Albert II ? Lorsque Philippe montera sur le trône, il recevra de son père un héritage que lui seul pouvait léguer, et Philippe, qui a toujours besoin de temps, sera prêt le moment venu, et donnera une image plus rassurante de sa personne.
Un artiste-peintre de la région du Centre a peint l'événement, début 1994.
RépondreSupprimerhttp://www.jpvsv.be/pagedetailprestation.htm