Le roi Léopold II fut le fondateur de l'empire colonial belge avec sa pièce-maîtresse, le Congo. Mais bien avant qu'il ne s'intéresse au centre de l'Afrique, celui qui n'était alors que duc de Brabant lorgnait alors du côté chinois. Son père, Léopold Ier, avait échoué dans ses diverses tentatives de doter le jeune royaume belge de territoires d'outre-mer : il avait essayé d'acheter les îles Féroé au Danemark et les Philippines à l'Espagne, et avait tenté d'établir des comptoirs en Crète, aux Antilles, en Guinée, sur la Côte d'Or ou encore en Nouvelle-Zélande. Il n'avait pas été plus chanceux quant à son envie d'une concession en Ethiopie ou de mettre sur pied des protectorats au Nicaragua, au Guatemala ou au Salvador...
En 1859, la France et le Royaume-Uni mirent sur pied une expédition militaire punitive en Chine. Le roi Léopold Ier vit en cet événement l'occasion d'y établir un comptoir belge. Pour cela, il compta participer à l'expédition en envoyant un bataillon belge. Le monarque belge obtint même une entrevue avec l'empereur Napoléon III qui se déroula à Biarritz. Il y exposa alors ses plans et avoua s'intéresser surtout à l'île de Yang Tsé Kiang. Les deux personnages se mirent d'accord sur l'envoi d'environ mille soldats belges et sur la participation aux frais de la Belgique. Cependant, le Royaume-Uni s'opposa à cet accord et le parlement belge n'accepta pas de financer, même en partie, l'expédition. L'une des dernières tentatives colonialistes du premier roi des Belges tomba alors à l'eau. L'âge se faisant, il ne s'y intéressa plus.
Le prince héritier Léopold dès qu'il fut sénateur de droit a prononcé des discours dans la haute assemblée afin que les hommes politiques belges aient conscience de l'importance des colonies pour les pays européens. Alors que de nouveaux comptoirs s'ouvraient en Chine au profit des occidentaux en 1864, il réitéra ses visées pour le royaume dont il sera un jour le chef de l'Etat. Il déclara même vouloir acheter l'île Formose, d'une superficie de 36.000 km², et qui deviendra plus tard Taïwan. Vers la fin de cette même année, il embarqua pour un voyage qui l’emmena à la découverte de l'Extrême-Orient, des Indes, et aussi de Hong Kong et de Canton où il arriva au début de l'année 1865. Il dut cependant écourter son périple et revenir au plus vite en Belgique car son père était souffrant.
Devenu roi, suite au décès de son père à la fin de l'année 1865, sa nouvelle position le faisait encore rêver à des contrées lointaine où le drapeau belge pourrait un jour flotter. En 1868, il revint à la charge et émit le projet de créer une société internationale qui financerait des chemins de fer et des entreprises minières en Chine. Toujours dans l'optique de ce projet, il réunit en 1873 à Liège divers industriels belges du fer et de l'acier. Il pensait qu'une convergence des efforts pourrait aboutir à l'obtention de concessions. Au final, seul Cockerill fut envoyée du côté de Yang Tsé Kang, sans résultat probant cependant... Au cours du temps, le roi Léopold II comprit que le vent lui serait davantage favorable en Afrique. Bien qu'ayant obtenu la reconnaissance de l’État Indépendant du Congo, avec lui-même comme souverain, lors de la Conférence de Berlin de 1885, il restait tout autant attiré par les contrées chinoises. Il déclara d'ailleurs en 1888 : "Je voudrais préparer un Macao chinois au Congo, et un Macao congolais en Chine ! Partout on repousse les Chinois. Je voudrais les accueillir !".
Li Hung Chang (1823-1901) |
En 1896, le mandarin Li Hung Chang était en tournée en Europe. Il s'agissait de la troisième personne la plus importante de l'Empire chinois. Léopold II arriva à obtenir de celui-ci qu'il passe par Bruxelles. La rencontre déboucha sur l'obtention d'un contrat portant sur la construction et l'exploitation d'une voie ferrée de 1.200 kilomètres entre Pékin et Hankow. La direction des opérations, qui débutèrent en 1898, fut confiée à Jean Jadot. En parallèle, des négociations s'ouvrirent pour une concession à Hankow. Une mission belge fut également envoyée dans la région du Kansu, dont le roi aurait aimé en faire un Katanga chinois. Quant à la ligne de chemin de fer obtenue, des tractations sur l’extension du tronçon vers Canton débouchèrent sur la victoire des Américains. Léopold II, perdant, arriva tout de même à acheter le tiers des actions de la S.A. American Chinese Development Compagny. A la veille du XXe siècle, sous l'impulsion du monarque, la Société d'Etudes des Chemins de fer en Chine vit le jour en 1899. Elle était destinée à favoriser l’industrie et le commerce entre la Belgique et la Chine.
En 1900, les puissances étrangères envoyèrent en Chine des troupes afin de faire face au soulèvement des Boxers qui souhaitaient se débarrasser des étrangers. A l'instar de son père, Léopold II proposa d'envoyer un contingent belge mais cette fois-ci ce fut l’Allemagne qui exprima son désaccord. Mais alors que la Russie annexa un territoire de la région du Tien-Tsin (Tianjin), sur les rives de la Mer Jaune, le vice-consul de Belgique en Chine, sous les ordres de son souverain, annonça le 7 févier 1900 que la Belgique prenait possession, elle, d'une cinquantaine d'hectares. L'annexion russe fut condamnée par le Royaume-Uni et les États-Unis, tout comme l'initiative belge. Finalement, les quelques hectares furent acquis en 1902, avec l'appui du Comptoir de Chine. Cette société était une filiale de la S.A. Société Asiatique, fondée en 1901 par Léopold II afin de réaliser des combinaisons financières. Sa gestion avait été offerte au baron Empain qui s'occupait des études, du financement et des négociations sur le terrain. En 1904, la Belgique obtint d'ailleurs le monopole pour la production électrique de la concession, via la Compagnie de Tramways et d'Eclairage de Tien-Tsin. Ce contrat fut, en 1906, étendu à toutes les autres concessions étrangères de la région. La concession belge, située sur la rive orientale du fleuve Hai Hen, a été exploitée par la Belgique jusqu'en 1931. Elle n'a pas beaucoup été développée, le gouvernement belge s'en désintéressant complètement. Il n'existe donc aujourd'hui aucune trace de l'occupation belge sur ces lopins de terre chinois.
Les concessions étrangères à Tien-Tsin en 1912 |
Bien des années plus tard, la reine Elisabeth, veuve du roi Albert Ier, fut l'une des premières personnalités occidentales à se rendre en Chine en pleine Guerre froide. Depuis Moscou, Elisabeth et sa fille la princesse Marie-José, éphémère reine d'Italie, prirent, le 24 septembre 1961, un Tupolev à destination de Pékin. Alors que la Belgique et la Chine n'entretenaient alors pas de relations diplomatiques, la reine rencontra Mao Tsé-Tung et fut reçue, sur le parvis de l'Assemblée nationale, par le Premier ministre Chou En-Lai. Elle fut également accueillie par l'Académie des Sciences, assista depuis la tribune officielle au défilé du 1er octobre sur la place Tiananmen et rendit visite à l'acteur Kai Kiao-Tien à Hankow.
La reine Elisabeth rencontre Mao © A.B.C. |
La reine Elisabeth et la princesse Marie-José devant la Grande Muraille de Chine © A.B.C. |
Aux côtés de Marie-José, la reine essaie un violon au Conservatoire de Shanghai © A.B.C. |
Ce voyage de près d'un mois et demi, qui fit parcourir 3.000 kilomètres à la reine Elisabeth, fut le déclencheur pour la souveraine âgée de 85 ans d'une crise cardiaque. Cette initiative embarrassa fortement la Cour, et en premier lieu son petit-fils le roi Baudouin, autant qu'elle irrita le gouvernement belge. A la fin de sa vie, la reine a visité à plusieurs reprises des régimes communistes, faisant la sourde oreille face aux critiques et désapprobations qui ne manquaient alors pas. La presse n'hésita d'ailleurs pas à lui donner le surnom de "reine rouge". A son retour, Elisabeth indiqua : "par mon voyage en Chine, j'espère contribuer au rapprochement entre les peuples et à l'unité du monde". Cette déclaration pacifique ne masque pourtant pas les sympathies à l'égard du communisme de la souveraine qu'elle consignait d'ailleurs dans ses carnets.
En compagnie d'ouvriers du rail © A.B.C. |
La reine se voit offrir une peinture traditionnelle. Il s'agit aussi d'une des rares photographies où l'on voit la reine fumer. © A.B.C. |
Au domicile de l'acteur Kai Kiao-Tien à Hankow © A.B.C. |
Pourtant grand voyageur, le fils aîné de la reine Elisabeth, Léopold III, n'a jamais visité la Chine. Il ne s'est rendu qu'à Hong Kong en 1932 lorsqu'il était duc de Brabant et après son abdication en 1961. Le roi Baudouin et la reine Fabiola effectuèrent un voyage d’État en Chine, du 25 mai au 5 juin
1981. A cette époque, le grand maréchal de la Cour, Herman Liebaers, avait eu l'idée d’adjoindre des spécialistes aux visites d’État. Ainsi, étaient du voyage, Mme Engelborghs, experte de l'histoire de la Chine contemporaine, Paul J. Melchior, directeur de l'Observatoire royal de Belgique - présenté par erreur au début de la mission par la presse chinoise comme l'astrologue royal... - , Yves Goldschmidt-Clermont, un savant belge du CERN ainsi que le professeur Van der Keken, théologien. Avant que l'avion n'atterrisse, la délégation fut mise au courant que la cérémonie d'accueil serait réduite. En effet, Song Chingling, sœur du président Chang Kai Chek et possédant le titre de présidente d'honneur du pays, était mourante. Au premier jour de la visite, le roi Baudouin s'entretint avec le vice-président Peng Zhen et avec le Premier ministre Zhao Ziyang. La reine Fabiola, elle, visita un atelier xylographique de Jung Paochai. Un dîner d'Etat fut ensuite servi dans la grande salle du Palais du Peuple au cours duquel le roi et le vice-président prononcèrent un discours. Par la suite, le souverain belge eut un entretien avec le président Deng Xiaping qui délivra un monologue d'une heure... !
Le roi Baudouin avec Deng Xiaoping : les deux hommes sont séparés - tradition oblige - par un crachoir, dont la presse se moquait allègrement à l'époque... © Collection de la reine Fabiola |
A Pékin, les souverains se rendirent également à la Grande Muraille de Chine, sur la tombe d'un empereur de la dynastie Ming, au Palais d'été et sur le site de la Cité interdite. Passionné d'astronomie, le roi Baudouin tint à rendre hommage à Fernand Verbiest, un père jésuite belge qui a été l'astronome de l'empereur Kangxi. Dans ce cadre, le couple royal visita l'observatoire de Pékin et la tombe du religieux. Cette dernière était à l'époque normalement inaccessible pour les étrangers car le quartier général d'éducation politique du parti occupait un bâtiment et en avait fait un camp de rééducation où se trouvait d'ailleurs l'ancien Premier ministre Hua Guofeng.
Explication devant la sphère armillaire, instrument construit par Fernand Verbiest © Van Parys |
La délégation prit ensuite l'avion pour se rendre à Xi'an, destination où la délégation apprit le décès de la présidente d'honneur. Les souverains y visitèrent notamment la tombe de l'empereur Qin. Après cet intermède, un avion emmena le roi Baudouin et la reine Fabiola vers Suzhou. Là, une visite d'une commune avait été programmée, ainsi que ses jardins pour l'après-midi. Le 1er juin, la visite d’État se poursuivit à Shanghai, dont l'acheminement fut réalisé à l'aide du train. Le maire offrit le déjeuner, puis le roi visita l'Observatoire de Shanghai. Quant à la reine, elle se rendit au musée d'art ancien chinois. Le lendemain, les souverains visitèrent un hôpital central avant de reprendre l'avion pour Guilin, où le couple pu apprécier une croisière de six heures sur le fleuve Lijiang. La visite toucha alors à sa fin et il ne restait plus qu'une étape : Canton et son Mémorial Sun Yat Sen.
Croisière sur le Lijiang © Van Parys |
La reine Fabiola à Pékin en 1995, ici aux côtés de la Première Dame de Malaisie Mme Dato Seri Datin Paduka © Mike Fiala |
Vu l'intérêt économique de ce pays en pleine expansion, le roi Albert II et
la reine Paola effectuèrent en Chine, du 4 au 11 juin 2005, l'un de leurs plus longs voyages d'Etat de leur règne. Il s'agissait d'ailleurs de la première visite de la reine Paola dans ce pays. Ils furent exceptionnellement accompagnés d'une centaine de personnes : le Ministre des Affaires étrangères Karel De Gucht, le président du Comité
International Olympique Jacques Rogge, le secrétaire d'Etat aux Affaires
européennes Didier Donfut, ainsi que par des hommes d'affaires, les recteurs des
universités, etc. Quelques mois auparavant, ce voyage d'Etat avait
suscité une polémique auprès des défenseurs des droits de l'homme et de
l'indépendance du Tibet car le gouvernement fédéral avait demandé au
daïla-lama de reporter sa venue prévue en 2005 en Belgique afin de ne
pas heurter les
autorités chinoises.
Photo : Xinhua / Lan Hongguang |
Le prince Philippe, de son côté, y a mené cinq missions économiques : en 1996, en 2000, en 2004, en 2007 et en 2011. En comptant sa présence aux Jeux Olympiques de Pékin en 2008, la visite de l'Exposition universelle de Shanghai en 2010, mais aussi un séjour privé de quatre semaines durant l'été 1986, le fils du roi Albert II s'est rendu à huit reprises en Chine avant d'accéder au trône.
Du 30 mars au 1er avril 2014, le président chinois Xi Jinping et son épouse effectuèrent une visite d'Etat en Belgique, la première pour le nouveau couple royal Philippe et Mathilde. Au programme des visites figuraient Gand et Bruges, mais aussi Brugelette et son parc Pairi Daiza qui venait d'accueillir deux pandas prêtés par la Chine. Une diplomatie du panda qui coïncide avec de bonnes relations bilatérales. Le roi Philippe avait également décerné le Grand Cordon de l'Ordre de Léopold au président chinois.
Répondant à l'invitation du président Xi Jinping, le roi Philippe et la reine Mathilde ont réservé leur première visite d'Etat à l'étranger à la République populaire de Chine du 20 au 27 juin 2015. Un déplacement qui s'inspire de celui effectué par son père dix ans plus tôt puisque de nombreux chefs d'entreprises et les recteurs d'universités furent conviés. Voulant tenir compte de la réalité institutionnelle du pays, le souverain innova et associa les ministres-présidents des trois régions du pays : Flandre, Wallonie et Bruxelles-Capitale. Les villes de Wuhan, Beijing, Shanghai, Suzhou et Shenzhen furent visités et le programme avait surtout axé sur l'économie (ce sont 90 contrats qui furent signés), même si la reine Mathilde effectua de son côté des visites sociales ou culturelles. Le couple royal prit tout de même le temps de découvrir notamment le spectacle grandiose du Belge Franco Dragone donné à Wuhan et d'arpenter quelques mètres de la Grande Muraille de Chine.
C'était un plaisir, comme d'habitude, de collaborer avec toi! Bravo pour les nombreuses heures de recherche pour préparer cet article intéressant et bien illustré! Je me rends compte qu'on a oublié tous les deux les Jeux Olympiques et Paralympiques de Pékin en 2008 auxquels notre famille royale a assisté.
RépondreSupprimerEh bien Valentin quel régal de lire cet article qui retrace avec brio 150 ans de relations sino-belges !
RépondreSupprimerLéopold II avait une fascination particulière pour l'Asie avant de s'intéresser au Congo. Merci de nous rappeler ces pages moins connues de notre histoire.
Amicalement,
Damien
La reine Elisabeth était assez originale et avait un tempérament d'artiste, il fallait avoir du culot pour se rendre dans ce pays en pleine guerre froide sans l'accord du gouvernement belge!
RépondreSupprimerMaria Laura est tout simplement divine !
RépondreSupprimerJe suis Belge d'origine chinoise.Mon père m'a toujours dit que la Belgique et la Chine ont tjrs eu des relations très étroites...par leurs histoires etc.Ps:j'aimais bien le Roi Baudoin...j'ai toujours aimé son visage avec son sourire très sincère...repose-toi bien Grand Roi
RépondreSupprimerps:mon grand père défunt disait déjà qu'à l'époque les armes belges étaient deja très connues...surement FN Herstal ;")
Bonjour. Existe t'il des récits du voyage du prince de Brabant en 1865 à Hong Kong et Canton avec des détails plus précis du programme et des visites,
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