Des ferrovipathes les souverains des Belges ? Ce terme désigne les passionnés des trains et des voies ferrées. La question mérite d'être posée à la vue de divers éléments : des trains royaux, une ancienne gare privée à Laeken, des salons royaux dans plusieurs grandes gares du pays, le projet d'un raccordement direct au château de Laeken, etc.
Le roi Léopold Ier avait déjà un intérêt certain pour ce moyen de transport dont la première ligne continentale en Europe, reliant Bruxelles à Malines, a vu le jour en 1835. Naturellement, le souverain était présent pour l'inauguration de cette ligne. A partir de 1848, il utilisa une berline construite en 1841. A la toute fin de son règne, fut livrée une nouvelle berline, construite par les ateliers Cartels.
Le journal "L'Ami de l'Ordre" (n°326) décrit cette berline : «
La voiture longue de douze mètres et demi se divise en cinq compartiments. Le compartiment central forme un riche salon pour le Roi et sa famille Royale. Il est recouvert ainsi que le divan régnant dans le pourtour, en satin gris tendre broché et capitonné. Deux portes formées de glaces étamées d'argent s'ouvrent l'une du côté de l'arrière, sur un petit salon réservé qui donne entrée dans une autre pièce d'une ornementation plus simple où sont placés deux divans en forme de couchettes; l'autre porte du côté de l'avant, s'ouvre sur un petit salon, pour la suite du Roi. Cette pièce est tapissée en coteline réduite capitonnée. En sortant de cette pièce, on entre dans le compartiment qui forme la tête de la voiture et qui sert d'office: les parois sont tapissées en cuir doré repoussé; deux meubles-buffets sont fixés aux angles de l'office dont la porte donne issue à l'extérieur au moyen d'une plateforme et d'un pont-volant qui fait communiquer avec une autre voiture ordinaire de 1ère classe réservée à la suite du Roi ». La première affection de cette berline fut d'acheminer l'impératrice d'Autriche, tante de Marie-Henriette, duchesse de Brabant, de Mayence à Anvers. En 1858, il était aussi de ceux qui montèrent à bord du train qui inaugura la ligne Namur-Arlon.
Le second souverain, le roi Léopold II peut être considéré comme un véritable passionné par le chemin de fer, un moyen de transport qui va se développer avec fulgurance sous son règne. Jeune, déjà, son père s'est plaint de lui dans une lettre en ces termes : «
Il ne fait rien d'autre que dessiner, principalement des locomotives avec beaucoup de fumée ». En 1877, il met en service la Halte royale, gare privée de la famille royale, sur la ligne entre Schaerbeek et Bruxelles-Midi, située aux confins du domaine royal de Laeken. Le bâtiment est de style néo-classique, dont les bas-reliefs des frontons évoquent les transports par train et par voie d'eau. Plus d'une décennie plus tard, en 1894, Jean Herain sera chargé de décorer l'édifice avec plusieurs sculptures.
Cette gare servait aux membres de la famille royale afin de se rendre en province ou même à l'étranger. Mais ce lieu était également un débarcadère pour les invités du souverain. Un projet plus ambitieux du roi, par la suite, était de relier cette gare directement au château de Laeken. Léopold II voulait faire de son château une sorte de "Palais de la Nation", un lieu qui accueillerait des événements importants comme des conférences internationales. Les délégations étrangères auraient eu de la sorte leur terminus dans une gare souterraine, située au niveau de l'escalier d'honneur. Les différents plans ont été dressés en 1904 par l'ingénieur Foulon, d'après les directives de Charles Girault. Ce projet n'a pas été accueilli avec enthousiasme au sein de la classe politique, le considérant comme la dernière lubie royale. En 1905, seule une partie du raccordement est en chantier avant que l'année suivante les plans soient remaniés. Ce projet s'enlise, notamment avec la cession du Congo à la Belgique en 1908, et donc la perte de plantureux revenus. Finalement, c'est le décès du monarque qui y mettra définitivement un terme, puisque son successeur, son neveu Albert n'a pas souhaité le maintenir, au plus grand contentement des ministres.
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Tronçon prévu au sein du projet de Léopold II |
Même si ce projet n'a pas été mené à terme, il en existe encore aujourd'hui plusieurs traces. Tout d'abord, la gare souterraine du château de Laeken existe bel et bien, même si elle n'est pas terminée. L'émission "Royalty" de VTM y a eu exceptionnellement accès en 2012. Certains tronçons du tunnel existent également, car ils s'intégraient dans d'autres grands travaux comme l'aménagement de l'avenue Van Praet ou de l'avant-port. Il y a quelques années, cinquante mètres de la "gare" Van Praet, qui n'a jamais vu un seul train, a été mise à disposition du Musée du Transport Urbain Bruxellois pour y stocker du matériel suite à une convention avec la Donation royale. Un bout de tunnel permettant de pénétrer au domaine royal a été quant à lui muré. Lorsqu'on a l'occasion de se promener dans le domaine royal, on voit se dessiner dans la verdure les anciens travaux de terrassements, nécessaires avant d'accueillir la voie ferrée qui été prévue.
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La gare du château de Laeken (© VTM/Royalty) |
La gare royale de Laeken a continué d'être utilisée par la famille royale et ses invités jusqu'à la fin des années 1970. Par la suite, le bâtiment a été classé en 1996. Le 6 septembre 2001, à l'occasion des 75 ans de la S.N.C.B., le couple royal a embarqué spécialement en la gare royale à bord d'un train spécial qui les a emmené à Anvers, Liège, Louvain et finalement à la gare de Schaerbeek. Là, Albert et Paola ont visité les deux anciens trains royaux (voir ci-dessous). Après cet événement, la gare a été définitivement déclassée et l'intérieur fut vidé. Elle continue de dépendre de la S.N.C.B. et de la Donation royale, mais est actuellement à l'abandon, victime malheureuse des tagueurs.
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Le roi Baudouin et la reine Fabiola sortant de la gare royale de Laeken pour prendre le train royal en partance pour Liège |
Le roi Léopold II est également à l'origine d'une autre halte royale, cette fois-ci à Houyet, dénommée Station Château d'Ardenne. Tout comme pour Bruxelles ou Ostende, le souverain nourrissait de grands projets pour ce lieu et ses environs, où il possédait plusieurs centaines d'hectares. Selon lui, Houyet aurait pu devenir un lieu touristique incontournable, notamment avec le château d'Ardenne, un luxueux édifice reconverti en hôtel, exploité dès 1898 par la Compagnie Internationale des Wagons-Lits dont le roi Léopold II était un actionnaire. Deux ans plus tôt, une gare strictement destinée aux clients de l'établissement fut construite. Il s'agit d'un édifice circulaire, doté d'une tour carrée d'inspiration médiévale. Une rampe, duquel un salon de repos était accessible, permettait aux clients de se rendre au château via un chemin forestier.
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En surplomb, en aperçoit la Tour du Rocher, dynamitée en 1975 |
Après la Première Guerre Mondiale et des dégâts survenus pour l'hôtel, la station est fermée en 1919. Malgré une réouverture en 1921 de l'exploitation hôtelière, la halte royale n'accueillera plus jamais les résidents fortunés. Dès ce moment, le bâtiment sera sans affectation, par ailleurs l'hôtel a fermé ses portes en 1950 avant d'être victime d'un incendie en 1968. Puis il fut rasé (sauf la Tour Léopold) en 1970. Aujourd'hui, le lieu est tristement laissé à l'abandon, régulièrement squatté et est devenu un rendez-vous prisé des adeptes de
raves parties.
Lorsqu'il a visité l'exposition universelle de Paris en 1900, le roi-bâtisseur a été impressionné par le luxe et le confort qui se dégageaient de voitures qui étaient présentées. Pour l'année suivante, il commanda donc des voitures à la Compagnie Générale de Construction basée à Saint-Denis en France, via la Compagnie Internationale des Wagons-Lits. La locomotive destinée au train royal date de 1905 et provient, elle, de la S.A. Saint-Léonard de Liège. Possédant une livrée bleu-violacée, elle peut atteindre une vitesse maximale de 120 kilomètres par heure. Le reste des voitures se trouvaient avec une livrée brune possédant un bandeau beige.
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(© Patrick Tassignon) |
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(© Caramoul25/Flickr/Tous droits réservés) |
La berline royale était composée d'un salon central d'un style plutôt néo-classique, décoré de panneaux en acajou poli, de miroirs biseautés, de fauteuils aux velours, rehaussés de motifs feuillus stylisés, d'une couleur vert clair comme les tentures. Le plafond arboré une moulure creuse autour de laquelle se développait une draperie peinte avec des motifs floraux, des paysages au sein de médaillons et diverses allégories. De ce salon, le roi avait accès à des compartiments-lits et à des places assises qui lui étaient réservés. Les autres étaient accessibles de part et d'autre des deux couloirs décorés dans un style Art Nouveau.
Au sein de la voiture restaurant-conférence une table était disposée à l'origine dans le sens de la longueur. Ensuite, plusieurs tables mises dans le sens opposé l'ont remplacé. Les panneaux et les meubles sont en acajou avec des motifs dorés et des ornements de style Louis XVI. Le mobilier, qui a fait son apparition en 1921, est rehaussé du monogramme royal d'Albert Ier. Il s'agit de sièges et d'armoires. Le plafond est ici recouvert d'une draperie avec des représentations allégoriques des plaisirs de la table.
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La voiture restaurant-conférence (© Les lignes de l'Entre-Sambre-et-Meuse) |
Mise en service en 1912, la voiture salon-restaurant possédait un couloir central, dans un style Art Déco, qui débouchait sur un salon décoré dans le même style, avec notamment une peinture au plafond. Le mobilier se déclinait en fauteuils, en petites armoires et en un secrétaire composé d'une marqueterie alliant bois, ivoire et nacre. Le salon en question permettait ensuite de se diriger vers le restaurant réalisé avec des lambris richement ornementé et agrémenté de meubles de style Louis XV. La voiture-lits date aussi de 1912 et l'année suivante voit l'ajout de deux fourgons comprenant des compartiments-lits. Au final, et selon les besoins, le train pouvait comptabiliser sept voitures et trois fourgons.
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Vue sur le salon-restaurant (© Caramoul25/Flickr/Tous droits réservés) |
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Vue sur un compartiment-lit (© Les lignes de l'Entre-Sambre-et-Meuse) |
Ce train a servi pour la dernière fois en novembre 1938 lors de la visite d'Etat du roi Léopold III aux Pays-Bas. En effet, le conseil d'administration de la S.N.C.B. a décidé un an plus tôt que le véhicule est désormais inadapté, notamment au niveau de la sécurité. En 1965, les trois voitures d'apparat du train ont été rénovées à l'atelier central de Malines et ont d'ailleurs été repeintes dans leur livrée d'origine. Le train fut par la suite épisodiquement exposé au public (tout comme plus tard son successeur). Ainsi, par exemple, il fit le déplacement en 1967 jusqu'à Ostende à l'occasion du 700eme anniversaire de l'accesion au rang de ville. Pendant plusieurs jours, il est resté à quai pour le plus grand bonheur des curieux.
Un nouveau train est alors construit à l'atelier centrale de Malines entre 1938 et 1939, possédant une livrée uniforme verte à l'instar du matériel habituel. La locomotive, inspirée d'un modèle américain, pouvait désormais atteindre une vitesse de 140 kilomètres par heure. Sauf pour des besoins particuliers, le train était composé de trois voitures. L'écussion royal couleur amarante se trouvait sur chaque long-pan et les portières d'extrémité étaient toutes agrémentées d'une couronne en métal argenté.
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(© Caramoul25/Flickr/Tous droits réservés) |
La voiture-salon était occupée par les souverains. On y accédait en empruntant un escalier escamotable, on franchissait alors de larges portes à deux battants puis un hall d'entrée d'honneur. Ce hall donnait ensuite accès à deux lieux. Soit le grand salon, prenant toute la largeur de la voiture, décorée avec des bois précieux : l'acajou, bien entendu, mais également des encadrements en wenge, des montants en bois de palmier sculpté ou encore des moulures en avodiré. Plusieurs fauteuils mobiles s'y trouvaient ainsi qu'une tapisserie mettant en scène une chasse aux cerfs. Ou soit le cabinet particulier du Roi agencé avec un guéridon de travail, deux fauteuils et un canapé-lit, le tout décoré avec des panneaux de noyer et des tissus en lin d'une teinte beige. Le reste de la voiture était composée de compartiments de service.
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La salon (© Patrick Tassignon) |
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Autre vue sur le salon (© Caramoul25/Flickr/Tous droits réservés) |
La voiture-restaurant était dotée d'une grande salle à manger de douze places, et une plus petite de quatre places. Ces tables ont été fabriquées avec des panneaux de noyer du Caucase. S'y trouvaient également quatre fauteuils faits en peau de porc, d'une teinte beige. Comme dans la précédente voiture, celle-ci était complétée par divers compartiments de service comme une cuisine. La voiture-lits, elle, comprenaient les deux chambres à coucher du couple royal, décoré tantôt avec des éléments en chêne ou tantôt en palissandre. Un salon, servant également de salle de petit-déjeuner, était incrusté entre les deux chambres. Ce salon était meublé d'une table en marqueterie en forme de demi-ovale et d'un meuble de coin en chêne.
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La voiture-restaurant (© Patrick Tassignon) |
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A gauche : vue sur une chambre à coucher ; A droite : vue sur un cabinet de toilette, réalisé avec des panneaux en acajou venant de Cuba (© Caramoul25/Flickr/Tous droits réservés) |
Ce train royal a été utilisé pour la première fois en mai 1939 dans le cadre de la visite de la reine Wilhelmine des Pays-Bas en Belgique. Le roi Léopold III s'en servi également pour ses Joyeuses Entrées à Liège et à Mons, respectivement le 28 mai et le 4 juin 1939. Le train a été retrouvé intact après la Seconde Guerre Mondiale et a été de nouveau utilisé dès le mois d'octobre 1945, sous la régence du prince Charles, pour la visite du président français Charles de Gaulle à Bruxelles. Avec le roi Baudouin, ce moyen de transport sera assez régulièrement utilisé comme lorsqu'il inaugure en 1952 la jonction entre Bruxelles-Nord et Bruxelles-Midi. Des souverains étrangers en feront également usage lors de leurs visites d'Etat. Ce fut le cas de l'empereur Hirohito et l'impératrice Nagako du Japon en 1971 ou de la reine Margrethe II et du prince Henrik de Danemark en 1976. C'est cette dernière date qui est souvent mentionnée pour indiquer la mise au repos du train royal. Mais il fut vraisemblablement utilisé encore en 1982 par la famille royale pour se rendre au moins à l'un des mariages princiers au Luxembourg.
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Le roi Baudouin et la reine Fabiola embarquent à bord du train royal à destination de Liège en la gare royale de Laeken |
Remarquons également qu'il existe plusieurs salons royaux dans plusieurs grandes gares du pays, censés pouvoir y faire patienter les membres de la famille royale avant qu'ils embarquent. Accoutumée de la station balnéaire d'Ostende jusqu'au début du règne de Baudouin, la famille royale disposait d'un salon royal au sein de la gare qui abrite aujourd'hui le bureau du chef de gare. En 1952, un endroit similaire a été inauguré à la gare de Bruxelles-Central par le roi Baudouin. Passant presque inaperçu, il se situe derrière deux grandes portes brunes surmontées du lion royal et de la devise nationale. Un couloir en marbre conduit à une pièce d'environ cinq mètres sur trois, décorée au monogramme du monarque, de meubles précieux, de sièges recouverts de cuir par les soins de la prestigieuse maison Delvaux, ainsi que par des tableaux. De ce salon, une petite salle de bain était accessible, tout comme un ascenseur.
Ce salon a accueilli de nombreux hôtes illustres en visite en Belgique dans les années 1950 : l'empereur Hailé Sélassié Ier d'Ethiopie, le Shah d'Iran, la grande-duchesse Charlotte et le prince Félix de Luxembourg ou encore le roi Bhumibol et la reine Sirikit de Thaïlande. Avec les années, ce salon a perdu de son intérêt. Le lieu a été classé en 1995. Bien que la gare en soit devenue le propriétaire 2007, elle doit théoriquement être dans la possibilité d'accueillir à tout moment un membre de la famille royale. C'est pourquoi le salon est censé être nettoyé chaque jour. Mais ces dernières années, des visites y ont été organisées ainsi que des conférences. Les gares de Bruxelles-Midi et de Bruxelles-Nord possédaient également un salon destiné au souverain. Mais le premier est aujourd'hui une salle de réunion, tandis que le second n'existe plus suite à des travaux de rénovation.