Après le tragique accident, survenu le 29 août 1935 à Küssnacht am Rigi, de nombreux habitants vinrent déposer des fleurs à l’endroit, marqué par une simple croix en bois, où la reine Astrid avait perdu la vie. Très vite cette rive du lac des Quatre-Cantons devint un lieu de pèlerinage et, pour des raisons d’accessibilité et afin que l’herbe ne soit pas constamment piétinée, les autorités locales installèrent une série de marches en bois pour faciliter le dépôt de fleurs sur le lieu en pente. Après plusieurs suggestions de citoyens suisses et d’articles de presse, le gouvernement helvète approuva l’acquisition du terrain entre la route et le lac, avec la collaboration du canton de Schwyz, afin de l’offrir ensuite à la Belgique. Ce terrain appartenait à deux propriétaires particuliers qui furent expropriés. L’ambassadeur suisse en Belgique fut dès lors reçu par le roi Léopold III à qui il offrit officiellement le terrain, s’agissant « d’un devoir de respect et d’amitié que de céder en propriété permanente au souverain belge le lieu où mourut son épouse » (Schwarzenbach A., 1998, 20). L’ambassadeur nota à propos du monarque que « sa douleur est encore si profonde et il a tant de peine à revenir sur ce douloureux événement qu’il a passé très vite à un autre sujet » (Schwarzenbach A., 1998, 25).
Tableau de Vital Keuller |
Le vœu du roi Léopold III était que ce lieu puisse rester tel quel, à l’instar du site de Marches-les-Dames où son père le roi Albert Ier perdit la vie accidentellement en pratiquant l’escalade. La simple croix de bois, placée à l’endroit même où la reine Astrid expira, fut cependant remplacée par une croix en granit provenant de Suède et portant les armes de la défunte souveraine. Dénommée « la Croix du Roi », elle se trouve à quelques mètres du poirier fatal et est tournée vers le lac, dans lequel le souverain demanda que la Packard décapotable soit immergée en septembre 1935. Une haie de buis encercle ce terrain, appartenant à la Donation Royale et jouissant du statut d’extra-territorialité. Face à ce souhait royal de sauvegarde en l’état du lieu et à la volonté des autorités locales de construire un trottoir qui aurait pu menacer le poirier, un consensus est trouvé. En effet, « on construi[sit] un trottoir qui se rétrécit en un point pour préserver l’arbre, tandis que des escaliers de chaque côté du site conduisent les visiteurs de la rue au lac, depuis lequel la contemplation et la photographie sont bien moins dangereuses » (Schwarzenbach A., 1998, 22).
La croix lors de l'inauguration en 1936 avec à ses pieds des couronnes envoyées par ses parents et son frère et ses soeurs |
Dans un même temps, l’idée de la construction d’un monument sur les lieux de l’accident avait gagné le monde patriotique belge. Ainsi, l’Œuvre nationale des Invalides de Guerre organisa, sous l’égide de sa fondatrice la princesse Jean de Merode, une récolte de fonds à cet effet. Une somme de 50.000 francs belges avait été levée dès le mois de décembre 1935. Face à la déclivité de l’endroit et selon le désir du roi, l’œuvre fit l’acquisition d’un terrain situé de l’autre côté de la route. En mars 1936, le canton de Schwyz accorda un permis de bâtir exceptionnel pour la construction d’une chapelle sur base des plans de l’architecte belge Paul Rome. Ce terrain fut également cédé à la Donation Royale, organisme qui acheta deux terrains entourant les premiers afin d’assurer le calme de ce lieu de mémoire.
Maquette présentée lors d'une exposition sur la reine Astrid en 1936 à Paris |
De gauche à droite : la reine Astrid visitant les malades, avec son époux le roi Léopold III et avec ses trois enfants |
La chapelle, d’un style simple et rustique, dotée d’un toit d’ardoises, a été construite à partir de matériaux provenant uniquement de Belgique, acheminés sur place gracieusement avec le concours des chemins de fer belge, français et suisse. La décoration fut également confiée à des artistes belges. Plusieurs vitraux illustrent des scènes de vie de la reine Astrid : auprès de son époux, avec ses enfants ou encore visitant des malades. Une couronne royale belge, encadrée d’une couronne de roses et d’une couronne d’épines, se trouve au-dessus de l’autel. Sur ce-dernier figure le monogramme de la reine Astrid. Une Vierge à l’Enfant rougeâtre est placée dans une niche à l’extérieur. A l’entrée du site, se trouvent à la fois une pierre gravée aux armes maritales de la souveraine, des inscriptions sur un des murets faisant référence à l’architecte et à l’entreprise de construction, ainsi qu’une pierre indiquant en français, en néerlandais et en allemand : « Le 29 août 1935, sur la rive de ce lac paisible, s’est brisée tragiquement, dans sa vingt-neuvième année, la radieuse existence d’Astrid, princesse de Suède, Reine de Belgique ».
La princesse Jean de Merode, marraine de la cloche |
L’inauguration et la bénédiction de la chapelle se déroula le 28 juin 1936 en l’absence du roi Léopold III, représenté par le vicomte Gatien du Parc, bien que la presse de l’époque rapporta la rumeur qu’il s’y était rendu incognito au mois de mai. La cérémonie fut conduite par un religieux belge, un représentant de l’évêque de Coire et le pasteur de Küssnacht. En cette occasion, une cloche fut bénie et reçut comme marraine la princesse Jean de Merode. Elle porte ces inscriptions latines « Plango Astridam, Belgarum Reginam Quae Hic Periit A.D. 1935 Aetate 29 », soit « Je pleure pour Astrid, Reine des Belges, décédée ici en 1935 dans sa 29e année ». Les représentants diplomatiques de différents pays ainsi que les plus généreux donateurs avaient été conviés à cette bénédiction durant laquelle l’Harmonie Royale des Invalides Belges interpréta notamment la Marche funèbre de Chopin.
En 1959, le déplacement de la chapelle fut décidé afin de permettre un élargissement de la chaussée souhaité par les autorités. D’ambitieux travaux déplacèrent donc la chapelle, pesant pas moins de 150 tonnes, de l’autre côté de la route, où se situe le lieu de l’accident. L’architecte Paul Rome tint d’ailleurs à assister à la translation de son œuvre. Les travaux, ainsi que la rénovation du mémorial, se clôturèrent à la fin de l’année 1960. Plus tard, un parking pour les visiteurs fut construit entre la chapelle et « la Croix du Roi ». Le 21 août 1992, une forte tempête déracina le poirier qui fut fatal à la reine Astrid. Une partie du tronc est aujourd’hui conservée au Heimatmuseum de Küssnacht avec quelques morceaux du pare-brise de la Packard 120 décapotable.
Armes de la reine Astrid |
Le 29 août 1935, sur la rive de ce lac paisible, s'est brisée tragiquement, dans sa vingt-neuvième année, la radieuse existence d'Astrid, princesse de Suède, Reine de Belgique |
Ancienne disposition de la chapelle par rapport à la croix |
Les lieux ont reçu trois visites royales de nature officielle. La première date du 29 août 1985, à l’occasion du 50e anniversaire du décès de la reine Astrid, avec la venue de la grande-duchesse Joséphine-Charlotte, du roi Baudouin et de la reine Fabiola, du prince Albert et de la princesse Paola. Ils y retrouvèrent Pierre Devuyst, le chauffeur, âgé de 82 ans, qui avait pris place à l’arrière du véhicule le jour de l’accident. Le 29 août 2010, à l’occasion du 75e anniversaire du décès, le roi Albert II fit seul le déplacement. La veille de sa venue, la souche du poirier fut enlevée et un nouvel arbre fut planté. Le roi Albert II atterrit sur l’aérodrome d’Emmen avec comme invité l’abbé Marcel Gravet. Le souverain l’avait rencontré la veille lors de la cérémonie à la Chapelle Reine Astrid de Briquemont que le religieux célébrait pour la 33e fois. Lors du dépôt de fleurs sur le lieu de l’accident, l’ambassadeur luxembourgeois déposa une couronne au nom des grands-ducs Henri et Jean.
Lors du 80e anniversaire, le 29 août 2015, le roi Philippe et son fils le prince Gabriel assistèrent à la traditionnelle messe célébrée par le père Jean-Sébastien Charrière, provenant de l’abbaye territoriale d’Einsiedeln, qui avait déjà concélébré l’eucharistie lors de la venue du roi Albert II cinq ans plus tôt. Comme ce fut déjà le cas en 1985 et en 2010, le roi Philippe et son fils prirent part à un déjeuner privé au « Swiss-Chalet » de Merlisschachen avec les autorités locales et les personnes chargées de l’entretien du site. Cet établissement possède une salle dédiée au souvenir de la reine Astrid avec de nombreuses photographies la représentant.
© Palais Royal |
Sources :
- KONINCKX Christian (dir.) (2005), Astrid. 1905-1935, Bruxelles, Editions Racine
- SCHWARZENBACH Alexis (1998), « Rêves Royaux. Réactions à la mort de la reine Astrid, 1905-1935 », Cahiers d’histoire du temps présent, n° 5, Centre d’Etudes et de Documentation Guerre et Sociétés Contemporaines, pp. 7-41