A l'occasion de sa parution, je vous avais déjà évoqué l'ouvrage consacré au prince Baudouin (1869-1891), neveu du roi Léopold II et qui fut héritier présomptif de la Couronne. Son auteur, Damien Bilteryst, agrégé en lettres et historien, a aimablement accepté de répondre à quelques questions pour Royalement Blog. Par ailleurs, si vous n'avez pas encore lu cette biographie, je vous la conseille vivement. Ecrite avec beaucoup de soin et style, elle a le mérite de faire découvrir une figure méconnue de la dynastie belge et de rectifier certains éléments qui étaient attachés à la vie du Prince. Et bien sûr l'ouvrage permet d'appréhender d'autres membres de la famille royale, ses cousins allemands ou encore le futur prince Louis II de Monaco... !
Royalement Blog : Certes il manquait une bonne biographie, comme nous les aimons, au sujet de ce prince qui fut héritier présomptif de la Couronne. Mais qu'est-ce qui vous a amené à vous intéresser à ce personnage?
Damien Bilteryst : Le choix de dédier une biographie complète à un prince qui n’a vécu que vingt-et-un ans peut en effet paraître surprenant. Toutefois, l’abondance des sources et la mise en perspective de la vie du prince Baudouin ont permis de relever ce défi. Le livre retrace non seulement le parcours personnel de Baudouin au sein de l’univers si spécifique des Flandre, mais il met en lumière la manière dont le prince était perçu par ses contemporains notamment grâce à une analyse exhaustive de la presse représentée dans ses diverses tendances. N’oublions pas non plus qu’à défaut d’avoir été un acteur, Baudouin a été le témoin privilégié de la vie que menaient le roi Léopold II et sa famille à Laeken et des microcosmes germaniques dans lesquels évoluaient des princes tels que le futur Empereur allemand Guillaume II ou le Tsar Nicolas II de Russie. Baudouin porte d’ailleurs sur eux un regard très avisé.
R.B. : Comment pourriez-vous, de manière succincte, décrire la personnalité du prince Baudouin?
D. B. : De sa fratrie le prince Baudouin est intellectuellement le plus brillant. Il étudie avec aisance, se passionne – comme beaucoup de Cobourg - pour les sciences : surtout la chimie et la botanique. Son caractère est réservé. Sa formation – une première pour un membre de la famille royale belge – à l’Ecole Royale Militaire le rendra plus sociable et assuré. Baudouin est altruiste, ce qui ne l’empêche pas d’émettre en privé de sévères et pertinentes critiques sur ses contemporains. Il fait part de ses remarques d’une manière ironique et fine, en évitant toutefois d’être blessant. A la fin de sa courte vie, ses proches remarquent une religiosité accrue chez le jeune homme. Il devient plus grave et craint de devoir quitter un jour sa famille et l’existence sécurisante qu’il mène au palais de la rue de la Régence.
R.B. : Sa mère semblait avoir un avis plus dur sur sa personne par rapport au comte de Flandre. Quelles relations avait-il avec ses parents?
D.B. : Il faut se rappeler que la comtesse de Flandre a été élevée avec une sœur vite mariée et quatre frères militaires. Benjamine de sa fratrie, elle a vécu sa première jeunesse dans différentes résidences en fonction des affectations militaires successives de son père. Ce dernier, le prince Charles-Antoine de Hohenzollern, exigeait que ses fils soient énergiques, un terme que la comtesse de Flandre reprendra à son compte lorsqu’elle déplorera que Baudouin ne correspondait pas vraiment aux critères prussiens. En Allemagne, les cousins de Baudouin étaient envoyés dans des écoles de guerre dès dix ans. Ils ne voyaient leurs parents que deux fois par an. On est donc bien loin de la douce et luxueuse existence que les enfants Flandre connaissaient à Bruxelles. Marie craignait en fait que Baudouin ne parvienne pas à s’imposer comme futur souverain, commandant des armées. Contrairement au comte de Flandre qui ne se préoccupait pas de l’avenir dynastique de son fils, la Comtesse envisageait un avenir difficile pour celui qui serait amené à succéder à Léopold II. L’Histoire lui donnera raison, mais ce sera Albert qui devra faire face lors de la Première Guerre mondiale. Donc, il subsistait une certaine incompréhension entre Baudouin et sa mère. La relation avec le comte de Flandre était plus fluide. Le père de Baudouin était plus indulgent et déléguait toutes les responsabilités éducatives à la Comtesse. Lorsque cette dernière était absente de Bruxelles, le comte de Flandre laissait libre cours à son esprit facétieux et s’amusait avec ses enfants, les incitant par exemple à accélérer imprudemment la cadence du pas des chevaux conduisant leur calèche lors des parties de campagne …
R.B. : Son oncle, le roi Léopold II, semble avoir entretenu de meilleures relations à l'égard de son neveu Baudouin plutôt qu'avec son frère Albert. Etaient-ils si différents?
D.B. : Baudouin était – en apparence du moins – plus facile à gouverner qu’Albert. Le roi Léopold II l’avait associé dès que possible aux manifestations publiques. Baudouin s’y pliait estimant que c’était son devoir. Après le décès de Baudouin, Léopold II n’a pas reporté sur Albert l’affection qu’il avait envers son frère aîné. Albert était extrêmement taciturne en présence de son oncle. La communication était très malaisée et le Roi a vite renoncé … En ce qui regarde les différences entre les deux frères, je verrais surtout des divergences sur la forme : la douceur de l’aîné et la fougue du cadet, mais sur le fond, ils étaient fort semblables. Leurs lettres privées attestent d’une même ironie caustique exprimée parfois dans un langage codé qui témoigne d’une grande complicité entre les deux frères.
R.B. : Peut-on dire également qu'il s'agit du premier prince belge qui est inscrit dans ce qu'on appellerait aujourd'hui une logique de communication?
D.B. : C’est exactement cela ! On connaît Léopold II comme roi bâtisseur, visionnaire, … et l’on peut sans conteste lui attribuer également la qualité d’excellent « communicant » lorsque l’on voit comment il a réussi à mettre en scène son neveu le prince Baudouin. On assiste de 1884 à 1891 à un véritable feuilleton : de l’entrée de Baudouin à l’Ecole Royale Militaire à ses funérailles, le Roi veut donner une image positive de la monarchie. Le prince Baudouin remplit tous les critères requis : d’un extérieur brillant, il apparaît opportunément pour séduire divers milieux : nous le voyons compatir au sort des mineurs suite à la catastrophe du charbonnage de Pâturages, commander les troupes lors des manœuvres militaires de Roulers, participer aux parades militaires à Hanovre, … Au point que, déstabilisée, la presse radicale appellera le Prince « Baudouin Géraudel » (allusion à la publicité dont un pharmacien français usait sans retenue pour vendre des pastilles …).
R.B. : Au travers de ce livre, divers mythes sont démontés comme celui d'une famille bourgeoise, d'un prince Baudouin ayant une très bonne connaissance du néerlandais ou encore d'une idylle avec sa cousine Clémentine. Ces éléments ont-ils été véhiculés par la croyance populaire et/ou des historiens qui se sont penchés sur d'autres membres de la famille de Flandre et qui auraient manqué de rigueur?
D.B. : Je n’exprimerais pas cela de cette manière. Les trois éléments que vous citez sont en effet ceux qui méritaient une relecture approfondie. Je les reprends brièvement : l’épithète bourgeoise est une construction journalistique dont l’origine remonte au Journal de Genève qui a appliqué ce qualificatif de « bourgeois » au comte de Flandre, dès … 1859 ! La maîtrise du néerlandais a été utilisée par les milieux royalistes pour complaire à une Flandre en mal de reconnaissance et l’idylle avec Clémentine n’a sans doute pas été suffisamment étudiée sur base de tous les documents originaux. Les sources existent : elles sont fort nombreuses et demandaient une analyse attentive. Si la biographie du prince Baudouin permet de rectifier ces points, j’en suis ravi.
R.B. : Après avoir côtoyé, si l'on peut dire, ce Prince durant ce travail de recherches et d'écriture, qu'aimeriez-vous que l'on retienne de lui?
D.B. : Je dirais d’abord qu’il a donné, durant sa brève existence, une image positive de la monarchie à une époque où la popularité du roi Léopold II était mise à mal. Je soulignerais ensuite que son frère « le Roi-Chevalier » s’est construit par rapport à Baudouin, sans cesse présent dans ses pensées jusqu’à donner en 1930 le prénom de son défunt frère à son petit-fils le roi Baudouin. Le prince Baudouin est donc présent de manière pérenne au sein de la dynastie belge.
R.B. : Après cette première biographie, avez-vous d'autres projets? Et pouvez-vous nous en parler?
D.B. : Sans dévoiler les projets, vous imaginez bien Valentin que je ne vais pas facilement me résoudre à déjà quitter l’univers de la famille royale belge du dix-neuvième siècle !
R.B. : Impatient d'en savoir plus prochainement, Royalement Blog sera d'ailleurs heureux d'en parler, je vous remercie pour cet entretien!