La comtesse Géraldine, Margit, Virginia, Olga, Marie Apponyi de Nagy-Appony est née le 6 août 1915 à Budapest, en pleine guerre mondiale. De par son père, le comte Gyula (1873-1924), elle descend d'une des plus vieilles familles de la noblesse hongroise dont les origines remontent au IXe siècle. Grâce à sa grand-mère paternelle, née comtesse Margit de Seherr-Thoss, et son aïeul le prince Joachim-Ernest d'Anhalt (1536-1586), elle est apparentée à de nombreux souverains européens, comme le roi Albert II ou le grand-duc Henri. Sa mère, Gladys-Virginia Steuart (1891-1947), est quant à elle issue de la bonne société américaine et descend d'Irlandais et d’Écossais qui ont migré vers le Nouveau Continent.
"Wee-Wee" (Tout-petit), comme sa famille l'a surnommé, est de santé très délicate - elle frôle la mort à plusieurs reprises lors de son enfance - et sera rejointe par une sœur, Virgina (1916-2002), et un frère, Gyula (1923-1950). L'Autriche-Hongrie défaite, sa famille, ruinée, s'exile en Suisse auprès de sa grand-mère maternelle qui s'est remaniée avec Gustave de Strale d'Ekna, ancien chambellan du roi de Suède. C'est là qu'ils vivent l'éclatement de l'empire, l'humiliation du Traité de Trianon (la Hongrie perd deux-tiers de son territoire), la proclamation d'une république et les soubresauts de la vie politique hongroise.
La famille regagne enfin sa terre natale durant l'été 1921. Cependant en 1924, son père décède à l'âge de 48 ans. Désireuse de fuir des souvenirs douloureux, sa mère décide de quitter Budapest et la famille s'installe alors sur la Côte d'Azur. Une situation voulue provisoire mais qui s'inscrit dans le permanent. Géraldine y fréquente un couvent à Monaco puis le lycée de Nice. Reprenant goût à la vie, sa mère se remarie avec un Français, le lieutenant-colonel Gontran Girault. De cette union naîtront trois enfants : Sylviane (1928), Guy (1930) et Patricia (1932).
Sur insistance de sa grand-mère paternelle, Géraldine et sa sœur Virginia retournent fréquemment en Hongrie, dans le château familial à Nagy-Appony. En mars 1930, elles y retournent de manière plus durable et sont scolarisées au couvent du Sacré-Coeur de Pressbaum, où Géraldine laisse le souvenir d'une bonne élève, pieuse, plongée dans les livres et déjà très jolie. La future reine d'Albanie y termine ses études par un examen passé à l'université de Vienne. Après le décès de sa grand-mère Margit, elle partage son temps entre Vienne, chez une cousine, et le château de Grüben auprès de sa tante Fanny Karolyi. Elle s'investit d'ailleurs dans le Club Tournesol fondé par cette dernière, une association ayant pour but de lutter contre la misère et l'ignorance à Zebegény pour laquelle elle dispense en autre des cours d'histoire hongroise.
C'est également pour elle le moment de faire son entrée dans le "monde", bien sûr toujours sous l’œil attentif d'un chaperon. Une soirée, elle s'échappe de cette surveillance avec un groupe de jeunes dans lequel se trouve d'ailleurs une certaine Lilian Baels, qui sera plus tard la seconde épouse du roi Léopold III. Après cette incartade, elle sera interdite de la revoir... Soucieuse de subvenir à ses besoins, elle entre en 1937 au Nemizeti Muzeum de Budapest dans le département des antiquités égyptiennes.
Son mariage avec Zog, né Ahmed Zogu, est un arrangement. Le roi avait besoin de redoré l'image de son pays et il lui a été présenté plusieurs photos de l'aristocrate hongroise. Elle lui plait immédiatement et les tractations débutent. Ils se rencontrent pour la première fois lors du bal de la Saint-Sylvestre du 31 décembre 1937 au palais de Tirana. Géraldine tombe vite sous le charme de cet homme de vingt ans son aîné, auquel elle prête nombre de qualités. Après mûres réflexions et diverses rencontres, elle accepte la demande en mariage du souverain. Le mariage se déroule le 27 avril 1938 et consiste uniquement en une cérémonie civile puisque les époux sont de confessions différentes : en effet, une catholique épouse un musulman.
La nouvelle reine se familiarise avec la vie à la Cour d'Albanie, qui englobe les six sœurs du roi : les princesses Adile, Nafije, Senijé, Myzejem, Ruhije et Maxhide. Elle s'attèle également à connaître la langue, la culture et l'histoire de son pays d'adoption. Au moment même où elle est enceinte, le danger italien se fait de plus en plus menaçant : certes l’Albanie est indépendante, mais elle dépend fortement de l'Italie, notamment financièrement, ce qui en fait presque un pays sous tutelle sur lequel Mussolini a des vues d'annexion. Le roi est loin d'être le meilleur ami des Italiens et les époux échapperont tour à tour à une tentative d'enlèvement, un attentat et un empoisonnement.
Le 5 avril 1939, la reine met au monde un héritier, prénomme Leka, dans un climat total d'incertitude quant à l'avenir. Deux jours plus tard, le signal du départ de l'invasion italienne est donné. En convoi, la mère et l'enfant, accompagnés de la Cour, se précipitent à la frontière grecque où ils seront rejoints le lendemain par Zog. La situation est désespérée et le long exil commence alors, avec la France comme première destination. Afin de s'y rendre, un grand détour s'organise afin de contourner naturellement l'Italie et l'Allemagne. Ils passent donc par la Turquie, la Roumanie, l'Ukraine, la Pologne, les trois pays baltes, la Suède, la Norvège et finalement Anvers. Arrivés en France, la Cour (une trentaine de personnes) aura l'occasion de séjourner aux châteaux de Mesnil-Saint-Denis et de Méry-sur-Oise.
Lorsque la Seconde Guerre Mondiale se déclenche, à l'instar de nombreux Français, la famille royale prend le chemin de l'exode et émigre ensuite en Grande-Bretagne après l'asile politique offert par le roi Georges VI. La Cour s'installe plusieurs mois au Ritz, vivant au rythme des incessants bombardements sur Londres. Ensuite, la suite emménage à Parmoor House, un manoir retiré dans la campagne. Après la guerre, l’Égypte du roi Farouk représente une autre étape de l'exil. Là, ils y retrouvent d'autres exilés royaux et Géraldine se lie d'amitié avec la reine Jeanne de Bulgarie (née princesse Giovanna de Savoie). Cette époque renoue avec l'espoir : les services secrets britanniques et américains projettent de déstabiliser le monde communiste en menant une action contre le régime albanais d'Enver Hoxha. Les différentes forces d'opposition politique s'associent à cette opération, ainsi que dans une certaine mesure, le roi Zog. Le projet sera cependant un échec et d’hypothétiques espoirs de restauration s'évanouissent aussitôt.
La chute du royaume égyptien pousse la famille royale à faire son retour en France en 1955. C'est sur ce territoire que le roi y rend son dernier souffle, après plusieurs mois de maladie, le 9 avril 1961. Cette épreuve affecte naturellement Géraldine qui est également confrontée à des problèmes financiers. Cet événement coïncide avec un changement du mode de vie de la famille royale : la Cour est sérieusement réduite et les sœurs du roi partent vivre sur la Côte d'Azur. Quand son fils part s'installer en Espagne, elle le suit, travaille pour la Croix-Rouge et reste attentive à la diaspora albanaise. Nouveau changement en 1990, c'est désormais l'Afrique du Sud qui accueille la famille royale albanaise en exil dans une modeste propriété à Randburg. La sœur de Géraldine, Virginia, est également du voyage et elles ne se quitteront plus.
La reine lors de la cérémonie donnée suite au mariage de son fils avec Susan Cullen-Ward en 1975 |
Avec son petit-fils, le prince Leka |
Sachant que ses années sont désormais comptées, elle fait savoir qu'elle désire pouvoir terminer sa vie sur le sol albanais. Le 22 mars 2002, ses volontés trouvent écho du gouvernement Nano et les députés votent en faveur du retour de la famille royale. C'est le 28 juin de la même année que la reine Géraldine, le roi Leka Ier, la reine Susan et le prince héritier Leka effectuent une arrivée triomphale en Albanie. Et la reine-mère est loin d'avoir été oubliée des Albanais !
Retour de la famille royale en 2002 |
La première édition de cette biographie est parue en 1997. L'auteur avait alors obtenu l'accès aux archives de la reine ainsi qu'à son témoignage direct. Le livre bénéficie d'une seconde édition en 2012, année marquée par le 10ème anniversaire de la mort de la souveraine et par le 100ème anniversaire de l'indépendance de l'Albanie. Il ne s'agit cependant pas d'une simple réédition puisque l'ouvrage initial a été augmenté de nouveaux chapitres, notamment grâce à des témoignages inédits comme celui sur les conditions exactes de l'arrangement du mariage. Ce livre est également agrémenté de trente-quatre photos.
L'ouvrage se penche sur le destin exceptionnel d'une reine oubliée. Née dans l'empire austro-hongrois durant la Grande Guerre, elle a vécu la montée du nazisme et du fascisme, la guerre 40-45, l’avènement du communisme dans les Balkans, la Guerre froide, la chute du mur de Berlin, et le passage au XXIe siècle. Revivre les étapes de sa vie est également l'occasion de passer en revue ces épisodes de l'histoire. Joséphine Dedet permet aussi d'aller à la rencontre d'un pays méconnu, l'Albanie - qui demande d'ailleurs son adhésion à l'Union Européenne - au travers de son histoire séculaire, de ses héros nationaux, de ses habitants et de leurs cultures, sans oublier ses multiples visages dévoilés au gré des voyages du couple souverain, passant par Tirana, Durrës, Saranda, Himarë, Valona, Berat, ect. Le seul bémol est que le lecteur reste un peu sur sa faim : j'aurai aimé pouvoir lire davantage sur les dernières années de sa vie, ses rapports avec certaines monarchies européennes (puisqu'il est indiqué que le roi Baudouin et la reine Fabiola étaient ses amis), et que plus d'informations sur la vie de son fils y soient rapportées (comme le référendum de 1997).
Je termine ce compte-rendu par le portrait de la souveraine dressé avec finesse par l'auteur, dans les dernières lignes de son excellente biographie : "Les origines de la reine [...], un mélange fascinant de lignage millénaire et de modernité, ont probablement contribué à la formation d'une personnalité très riche. Authentique Européenne, Géraldine a hérité de l'intense vie intérieure des Seherr-Thoss, de la générosité et de la culture raffinée des Apponyi, mais aussi du dynamisme et du sens de l'adaptation de ses ancêtres américains. Géraldine la Prusse, la Hongroise, l’Écossaise, l'Irlandaise, la Française de cœur, la reine des Albanais enfin..."
Je remercie l'auteur de cette biographie, Mme Joséphine Dedet, les éditions Belfond et Mme Anny Poughon pour m'avoir permis de consulter ce livre en primeur.
Article très intéressant sur une souveraine méconnue qui aura connu un destin tourmenté et le bonheur de terminer sa vie en Albanie. Une nouvelle page de l'histoire de cette famille va s'ouvrir avec le mariage du nouveau roi.
RépondreSupprimerMerci Valentin de cette intéressante recension accompagnée d'une superbe iconographie !
RépondreSupprimerVotre reportage donne envie de lire cet ouvrage.